Cusco, l'envers du décors

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Casa Mantay blog (10)Cusco, octobre-novembre 2012

 

Cusco s'étend loin dans la plaine, au-delà du centre historique. C'est dans l'un de ses “barrios”, un quartier de banlieue à trois quart d'heure de transport collectif, souvent bondé, que se trouve la Casa Mantay.

Le trajet pour y accéder est assez épique en soi. Déjà, aux heures de pointe, il faut pouvoir se frayer un espace pour rentrer dans le collectivo. Ensuite, le chauffeur commence sa course pour arriver le premier aux arrêts de bus (paradero). Il zig-zague entre les véhicules, fait des queues de poisson aux autres bus, accélère, freine, laisse tout juste descendre et monter les passagers. Mieux vaut avoir une place assise. « Santa Rosa, sube-sube-sube... sans Antonio baja-baja-baja ». Le contrôleur annonce : « San Jeronimo mercado baja ! ». C'est le moment de descendre, sans perdre de temps !

 

Derrière le marché fort animé, un chemin monte (comme tous les chemins au Pérou) vers La Maison d'Accueil Mantay. Nous y voilà.

 

Casa Mantay blog (11)La maison d'accueil

 

Ici, loin de l'agitation touristique, sont hébergées 13 à 14 adolescentes entre 12 et 18 ans, déjà mamans ou en passe l'être. Ces jeunes femmes sont en général issues de familles défavorisées, qui ne peuvent assumer leur situation ni une bouche de plus à nourrir. Elles ont été pour la plupart abusées, violées, le géniteur n'est pas connu ou se trouve en prison... Elles sont envoyées par le juge des affaires familiales et sociales. Ces jeunes femmes, qui se trouvent par conséquent en situation de « risque social », ont malgré tout décidé d'assumer leur maternité.

 

C'est ainsi que la Casa Mantay leur ouvre ses portes. Depuis sa création en l'an 2000, par une infirmière espagnole et son compagnon péruvien antropologue, la Casa Mantay a offert une assistance complète à 230 mineurs, 115 mères et leurs 115 enfants. Pour un financeur, le chiffre peut paraître faible en 12 ans d'exercice, mais la raison est simple : les jeunes femmes restent à la Casa Mantay jusqu'à 6 années consécutives pour celles qui rentrent à 12 ans. Le « turnover » est par conséquent très faible.


Casa Mantay blog (30)C'est la seule institution dans le Département de Cusco qui assure une prise en charge totale pour cette part de la population, et bien entendu, outre les différentes autorisations et certificats pour son fonctionnement, le gouvernement péruvien ne lui donne aucune subvention pour son fonctionnement.

La Casa Mantay est donc une institution entièrement privée, qui vit avec les donations qu'elle reçoit de ses partenaires étrangers, des ventes de la production de son atelier ainsi que des aides ponctuelles de volontaires bénévoles.

 

 

Pendant leur séjour à la Maison d'Accueil Mantay, les mères adolescentes et leurs enfants sont pris en charge sur leurs besoins sanitaires, nutritionnels, affectifs, psychologiques, juridiques, ludiques, éducatifs et de formation technique, afin que lorsqu'elles atteignent leur majorité, les jeunes femmes puissent devenir indépendantes et habilitées à vivre en toute autonomie.

La Casa Mantay a un principe : ne pas laisser partir une jeune mère lorsqu'elle a atteint sa majorité, si elle n'a pas de sources de revenus ou de soutien familial assuré.

 

Casa Mantay blog (33)Les jeunes mères logent en dortoir de 4 lits, avec leurs enfants. Au fil des ans, pour travailler l'autonomie, elles bénéficient de chambres à 2 puis à 1 lit (la dernière année). Tout se fait dans la progression. De même, elles bénéficient de formations professionnelles la dernière année, afin que les apprentissages restent frais et soient vraiment utiles.

 

A la Casa Mantay, rien de semble manquer pour le bien-être de ces jeunes femmes et de leurs enfants. Ces derniers bénéficient d'un jardin pour gambader, d'une pouponnière et d'un jardin d'enfants.

 

Les mamans participent à toutes les tâches de la maison : entretien de leurs chambres et des communs, préparation des repas, garderie des enfants. Pour les plus grands les repas se prennent en commun dans une grande salle à manger.

 

Casa Mantay blog (25)Il y a un service de garderie, une cantine et un soutien scolaire, pour les enfants des mères externes qui ne disposent pas de ressources économiques suffisantes, ni d'appui familial.

 

Souvent en rupture scolaire, le niveau d'éducation des jeunes femmes est faible. Un dispositif scolaire particulier a été mis en place, car elles ne peuvent aller à l'école publique, en raison de la contrainte de leur maternité. Elles vont dans une école privée spécialisée, sur le week-end, où elles peuvent amener leurs enfants si elles doivent les nourrir.

 

L'atelier de couture

 

Casa Mantay blog (14)La Casa Mantay a monté une activité génératrice de revenus, avec un objectif double: offrir une sortie à l'emploie pour certaines mères à leur majorité, ainsi que dégager des fonds complémentaires pour financer le projet social.

L'atelier emploie 5 jeunes mères, aujourd'hui majeures, qui ont été bénéficiaires de la maison d'accueil. Les bénéfices de l'atelier servent à financer environ 10% du budget de la maison d'accueil.

 

 

 

Casa Mantay blog (16)A l'atelier, on fabrique des sacs et des accessoires en cuir, avec intégration de tissus traditionnels. Les produits vont du simple porte-clé aux sacs de ville « chics ». Ils sont vendus à l'atelier, aux gens de passage pour visiter la maison d'accueil, et dans une boutique en ville, très bien située sur la place principale de Cusco, qui regroupe des productions de diverses associations qui œuvrent en faveur des femmes.

L'association participe également à des foires et des expositions d'artisans pour développer les ventes de ses produits.

 

La cible de ces produits est avant tout le touriste. Sachant que ¼ des touristes au Pérou se rendent à Cusco, et qu'ils ont été 700 000 en 2011 (année record) à visiter la capitale inca, l'on pourrait penser que les clients sont servis sur un plateau. Mais la concurrence est rude.

 

Un nouveau projet économique au service du projet social

 

Casa Mantay blog (19)Bien qu'il y ait a des centaines de milliers de personnes qui visitent Cusco chaque année,cette « manne » n'est pas, selon la directrice de l'assocation, inépuisable. Elle est de surcroît saisonnière et reste aléatoire. L'année où le Machu-Pichu a fermé ses portes durant 3 ou 4 mois, les ventes ont chuté de façon importante.

De plus, la conjoncture n'est pas favorable non plus du côté des financeurs espagnols, l'Espagne étant fortement en crise.

En conséquence, les responsables de la Casa Mantay pensant ne pas pouvoir développer d'avantage les ventes des sacs, ont réfléchi à une activité lucrative complémentaire pour financer l'association, qui pourrait tourner régulièrement toute l'année, et qui soit d'avantage tournée vers un public péruvien.

 

D'autre part, une partie des débouchés professionnels des jeunes mères se trouvent dans le tourisme et la restauration (40% des jeunes femmes ont accès à un emploi dans le secteur du tourisme lorsqu'elle quittent la Casa Mantay).

 

Casa Mantay blog (21)En juin 2012, ils ont donc décidé de lancer une étude sur la faisabilité d'un restaurant servant des spécialités locales.

L'avantage d'un restaurant est que cette activité pourrait servir à la fois de source de revenus pour la Casa Mantay, mais également de lieu d'apprentissage et de tremplin professionnel pour les jeunes femmes de la maison d'accueil qui souhaitent travailler dans la restauration. 2 en 1.

 

L'idée de départ était de monter une gargote qui servirait de « l'arroz con huevo » (riz et œuf) avec toutes ses variantes (bananes frites, avocat, etc...) aux étudiants et professeurs de la faculté. Cible facile et nombreuse sur le campus, produits faciles et économiques à réaliser …


Casa Mantay blog (35)Mais voilà que Sabine est venue mettre son grain de sel, et... l'enquête menée sur une centaine de personnes dans le quartier de la faculté, pour vérifier l'idée de départ, a révélé de toutes autres attentes et une toute autre cible... la gargote du riz-à-l'œuf-pas-cher pour les étudiants s'est transformée en restaurant végétarien haut de gamme pour les employés des représentations ministérielles de la zone ! Ils sont moins nombreux mais ont un pouvoir d'achat nettement supérieur, la qualité peut compenser la quantité. La marge bénéficiaire sera plus importante que sur le riz/œufs, la concurrence est encore faible sur la zone. Le restaurant Mantay aurait donc ses chances.

 

Pour tester le concept de l'assiette végétarienne, et voir la réaction de personnes qui n'ont pas l'habitude de ce type d'alimentation, nous avons organisé un buffet avec salade, crudités, olives, tarte au légumes, poivrons farcis et céréales... à prendre au choix. Avant de dire ouf, tous les convives ont rempli une assiette de tout ! Y compris les enfants, qui se sont régalés à venir piocher dans le buffet. Ils ont trouvé cela bien bon, nourrissant, festif, et certaines ont même demandé la recette de la tarte ! CQFD.

 

Casa Mantay blog (37)Cependant, un tel projet, d'envergure plus grande que prévu initialement, va exiger de l'investissement des responsables, et un professionnel de la restauration. C'est un autre métier, avec des contraintes fortes. Le projet est vraiment intéressant en terme d'insertion professionnelle des jeunes femmes sur un secteur qui rencontre de plus en plus de succès non seulement auprès des touristes mais également des péruviens. D'un autre côté, les hypothèses du « plan d'affaires » ne montrent pas de bénéfices réels qui pourront être réinjectés dans l'association avant plusieurs années... tout cela donne à réfléchir.

 

Les responsables de Casa Mantay ont maintenant les cartes en mains, mais seront-ils prêts finalement à lancer ce défi ?

 

PS : en attendant, la Casa Mantay lance une "campagne du coeur" pour récolter quelques fonds. Lien sur leur blog : http://mantaycorazones.wordpress.com/2012/10/. Il y a en bas de page une version française.


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