Coopérative et habitat

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Asunción, Paraguay – La Paz, Bolivie, août-octobre 2013

 

Coop d'habitat (26)Le problème de logement est aujourd'hui l'un des problèmes majeurs qu'affrontent les populations à bas revenus d'Amérique Latine, notamment en zone urbaine, pour deux raisons principales : l'inégalité de l'accès au sol d'une part, signe commun d'identité de tous les pays d'Amérique Latine, et le manque de planification d'autre part. Cette situation génère des inégalités d'accès aux services et bénéfices procurés par la ville, participe à la dégradation des conditions de vie, cristallise les inégalités sociales, crée des ghettos, qui deviendront des foyers de mal-vivre et de délinquance.

 

Ce problème est accentué par le peuplement croissant et non maîtrisé des villes du sous-continent. Celles-ci sont en effet parmi les plus peuplées de la planète, et l'on prévoit que dans 20 ans, la situation ira en empirant, puisque 80% de la population latino-américaine se trouvera dans les villes. Par conséquent, le risque d'engorgement, voire d'explosion sociale, est grand si les responsables politiques n'agissent pas dès maintenant.

 

Coop d'habitat (23)Le droit au logement commence donc par l'accès au sol, et en lui, commence également le “droit à la ville”. Et c'est précisément de la question de l'accès au sol par la propriété dont il s'agit, car c'est là où se voit le plus clairement les inégalités : «  Pour les uns beaucoup, pour les autres rien, et cela n'est pas un hasard ».

 

Force est de constater que tout est entre les mains d'une minorité, quand la grande majorité manque de ce dont la minorité abonde ou a en excès.

Ainsi, empêchés d'accéder à un bout de terre où construire leur logement par la voie du marché, considérée comme la voie légale unique, et sans jamais une aide de l'État, les pauvres et les paysans sans terre chassés de leur territoire et venant s'agglutiner aux abords des villes, édifient alors leurs maisons où ils peuvent, comme ils peuvent, à des endroits où n'existent pas toujours les biens, les services et les équipements habitationnels nécessaires pour une vie digne.

Le phénomène de marchandisation des logements et la pression immobilière sur les loyers ont également progressivement chassé du centre des villes de nombreuses familles de dignes ouvriers.

 

Les origines de l'inégalité d'accès au sol ...

 

Coop d'habitat (16)Tout à commencé au moment de la conquête espagnole, où s'est produite à feu et à sang l'appropriation indue des terres par les conquistadores. Nous sommes face à l'un des pillages les plus grands de l'histoire de l'humanité, non seulement de l'or et de l'argent, mais également des terres, qui s'est perpétué au fil des siècles.

Avant l'arrivée des espagnols, il n'existait pas de notion de propriété, ni collective, ni individuelle. Les habitants des Amériques vivaient de la chasse, la cueillette et la pèche, sur un territoire non qui leur appartenait, mais auquel ils appartenaient, en harmonie avec la nature. Les luttes inter-tribus étaient d'avantage liées aux moyens de survie qu'à la défense d'un territoire-propriété.

 

Sous le prétendu régime de « protection », les espagnols ont assujetti et réduit en esclavage les indigènes, à vie, pour travailler sur leurs nouvelles exploitations agricoles dont les cultures, notamment la canne à sucre, le coton et le bois, était destinées à la Couronne. Ces hectares d'exploitation agricole, aujourd'hui complétées de céréales et d'élevage bovin, sont restés aux mains de grands propriétaires ou ont été revendus à des entreprises étrangères, la main d'œuvre étant toujours fournie par les indigènes.

D'autre part, afin de mâter la révolte des indiens Guaranis, farouches guerriers résistants aux offensives des espagnols, une communauté suisse-allemande de Mennonites (secte anabaptiste créée au XVIème siècle) s'est vue attribuer par les autorités de l'époque, sur un accord jamais remis en cause, les terres les plus fertiles du pays Guarani, zone partagée entre la Bolivie et le Paraguay. La communauté a donc largement développé l'élevage et la production agricole sur des centaines d'hectares, impliquant une déforestation importante. Elle vit aujourd'hui très bien de ces ressources, notamment la production et la vente de fromage, au détriment des indigènes.

 

Coop d'habitat (18)Les indigènes ont par conséquent vu leurs territoires se réduire à tel point que certains ont été contraints de migrer, s'enfonçant plus profondément dans la forêt ou venant gonfler les bidonvilles. Dans le Chaco, les indigènes Guaranis qui sont restés sur le peu de terre sèche qu'il leur restait se trouvent aujourd'hui dans une situation de grande pauvreté, sans accès, cela va de soi, aux services élémentaires.

 

En Bolivie, durant la colonie, certaines terres furent préservées comme propriété communale. Mais avec l'avancement de la République, une nouvelle loi a finalement dépouillé les communautés indigènes de leurs terres.

 

Tant les usurpateurs que leurs successeurs, se chargèrent de fonder la spoliation sur une nouvelle figure de la propriété, légalisant la propriété privée. La terre cessera d'être un bien commun à l'ensemble de l'humanité et deviendra patrimoine de minorités.

Coop d'habitat (20)Il en résultera l'inviolabilité de la propriété privée, posée clairement par le Consensus de Washington, renforcée par la pensée économique libérale contemporaine, soutenue par les grandes instances de la BID, la Banque Mondiale et le FMI, et défendue par les cadres légaux, car elle sera rédigée dans les constitutions, les lois, les décrets et tous types de règlements.

Or, ce qui aujourd'hui se proclame comme droit n'est qu'une forme de transmission par héritage, qui pourrait être considéré comme un vice de forme face à ce qu'est la justice réelle.

Par conséquent, le rôle de l'État n'a plus été que de protéger et faire respecter ces lois et règles, et partant, tout ce qui attente d'une manière ou d'une autre à ces lois sera sévèrement pénalisé. C'est ainsi que l'occupation des terres, sans justification de titre de propriété, est devenue « illégale », et par là-même un acte criminel. Et pourtant, se loger où l'on peut, comme on peut, en situation d'urgence, n'est pas un acte prémédité contre la loi, mais un acte de survie, que l'on pourrait qualifier d'a-légal plutôt que d'illégal.

 

L'accès au sol agit alors comme un élément fragmenteur de l'espace, consolidant l'inégalité : il y a une ville avec ses biens et services pour ceux qui peuvent acheter, la grande majorité restant à la périphérie.

 

Pas de droit au logement sans droit au sol...

 

Coop d'habitat (27)La terre est un bien inélastique, elle ne se reproduit pas, et pour cela s'installe la lutte pour son accession. Pour les uns, c'est juste un espace pour vivre, pour d'autres, elle se transforme en marchandise. Il se produit de cette façon une lutte sans merci entre ceux qui revendiquent la terre comme un droit et ceux qui la considèrent comme un bien marchand. Les intérêts sont antagonistes et incompatibles.

 

Nous sommes donc face à une question éminemment politique, qui ne se résoudra certainement pas techniquement, ni en faisant des cadeaux aux pauvres, comme pratiquent certains gouvernements populistes, qui ne font que renforcer les inégalités.

 

Dans l'actualité, il n'existe aucune chance d'accéder au sol pour l'immense majorité, si l'on continue à penser que le marché peut réguler, voire résoudre le problème, laissant à l'État seulement un rôle de « facilitateur », les décisions et les lois étant dictées par les grandes entreprises du secteur du bâtiment, tout comme par les grands propriétaires terriens dans le domaine rural.

Coop d'habitat (10)Aucunes des possibilités offertes par le marché n'ont été bonnes pour la grande majorité, car ni les banques ni les entreprises n'ont intérêt à faire commerce avec les pauvres. Considérés comme insolvables, ils ne peuvent ni entrer dans le jeu de la spéculation immobilière, ni accéder au crédit.

 

En conséquence, les pauvres continueront à s'installer où ils pourront, comme ils pourront, et de la forme que cela prendra, tant que les gouvernements ne s'attaqueront pas aux causes, mais tenteront seulement de diminuer les effets par des politiques de « régularisation ».

Pourtant, preuve est faite que les opérations de régularisation en zone périphérique coûtent plus cher que d'aménager un terrain urbanisé dans un quartier consolidé, où l'on peut apporter des solutions urbaines bien meilleures, bénéficiant tant aux usagers directs qu'à la société dans son ensemble.

 

Mais au-delà de la loi du marché, il y a la loi de la corruption, en sus d'une politique clientéliste.

Coop d'habitat (21)Au Paraguay, de graves irrégularités ont été recensées par la Commission Vérité et Justice, dans la mise en œuvre de la réforme agraire, qui était pourtant faite pour redistribuer les terres agricoles aux paysans avec l'objectif d'enrayer la pauvreté de ce secteur, et de l'incorporer au développement économique et social du pays. Ce qui aurait également permis d'éviter l'exode rurale. Or, durant cette période, qui a commencé sous la dictature (1954-89), et a duré jusqu'en 2003, on estime que 800 millions d'hectares furent indument attribués à plus de 3000 personnes qui ne réunissaient pas les requis légaux pour recevoir les adjudications : ministres de l'Exécutif, hauts fonctionnaires du gouvernement, politiciens, entrepreneurs et commerçants non dédiés à l'agriculture ni à l'élevage, grands propriétaires terriens, députés et sénateurs, militaires et policiers en service actif, et jusqu'à des politiciens poursuivis par la justice de leur pays, réfugiés par la dictature (ex. de l'ex-dictateur du Nicaragua) ! Ce sont ainsi 4240 lots mal-acquis qui n'ont encore pas pu être récupérés pour leurs destinataires légaux, car les enquêtes sont étouffées, les 3 pouvoirs de l'État sont mis en cause, et il y a de grands intérêts économiques en jeu derrière ces adjudications (dont le narco-trafic). Les associations de défense des paysans et les ONG font face à une problématique intouchable.

Coop d'habitat (28)En juin 2012, dans le conflit relatif à des terres, qui provoqua des affrontements meurtriers entre paysans et policiers, et se solda par la destitution en juillet du président de la République F. Lugo, était en cause une importante fraction de terre mal-acquise.

 

Conséquence de l'histoire et de la corruption, au Paraguay, pour ne citer que lui, plus de 85% des terres destinées à la production agricole et forestière (>500ha) sont concentrées entre les mains de moins de 3% de la population, en partie des étrangers.

A côté de cela, on dénombre plus de 300.000 familles paysannes sans terre, et 850.000 familles en carence de logement digne.

 

Un chemin d'accès au sol et au logement digne pour les plus pauvres...

 

Coop d'habitat (13)Face à cette situation, les organisations populaires se sont levées pour obtenir la constitution de fonds ou de portefeuilles de terres et immeubles, replaçant l'État dans son rôle d'acteur déterminant dans le marché du sol pour les secteurs de bas revenus. Car pour que cela marche, seule la volonté des organisations ne suffit pas, si bien organisées soient elles, il faut ajouter à la volonté politique un financement structurel.

 

Il s'agit alors de poser de nouveaux cadres légaux, d'assouplir les normes et de mettre en pratique des modalités nouvelles d'obtention du sol, mieux adaptées à la réalité, que le concept archaïque de la propriété privée individuelle.

L'Uruguay a montré l'exemple il y a déjà 50 ans, lançant le concept de « coopérative de logement par aide mutuelle », suivi par le Brésil. Peu à peu, à force de mobilisations et d'organisation de la société civile, le mouvement se perpétue dans toute l'Amérique Latine.

Ce concept est basé sur la propriété collective, gérée par une coopérative, avec octroi du droit d'usage des espaces collectifs et des logements par les associés (au moins un membre de chaque famille).

 

Coop d'habitat (11)L'accès au sol par les populations les plus pauvres peut alors se faire au moyen de ces dispositifs collectifs : un terrain collectif, des services habitationnels gérés au niveau collectif, un crédit collectif de l'État pour financer la construction des logements, avec une forte participation des habitants à la construction, de manière solidaire (aide mutuelle), et à l'aménagement de leur cadre de vie (auto-construction).

 

Ces coopératives de logement sont une grande opportunité pour les femmes seules avec enfants (et il y en a beaucoup en Amérique Latine – veuves, divorcées ou mères célibataires), qui sans cela auraient une chance infime d'accéder à la propriété. Faibles ressources et pas de garants dans un pays à forte culture machiste... ça n'aide pas. Ainsi, au Paraguay, la majorité des associés des coopératives se trouvent être des femmes, car elles s'engagent également plus spontanément dans les actions collectives que les hommes.

 

D'autre part, un grand pas a été fait en novembre 2008, où un « manifeste de stratégie régionale pour l'accès au sol urbanisé » a été rédigé à San Salvador. Ce manifeste pose les bases d'un nouveau cadre légal, des droits et obligations de l'État, notamment envers les populations à bas revenus. Il ouvre le droit à la propriété collective.

L'idée majeure est de considérer le logement comme un droit humain fondamental, de concevoir le sol urbanisé comme un bien social, dont la jouissance doit être à la portée de toute la population, et non comme une marchandise, objet de spéculation.

 

La production sociale de l'habitat en Amérique Latine...

 

Coop d'habitat (24)Les 2/3 des logements des villes latino-américaines sont construits par les gens, sans financement pour acheter les matériaux, sans main d'œuvre professionnelle ni conseil technique, comme ils savent et comme ils peuvent. C'est ce qui s'appelle la production sociale de l'habitat (à ne pas confondre avec la production d'habitat social, prise en charge à 100% par les organismes publics – État et bailleurs sociaux).

 

En quantité, la production sociale de l'habitat duplique ce que produisent ensemble l'État et le marché.

En qualité, le résultat est désastreux, notamment en raison de la pénurie dans laquelle elle se réalise.

 

Mais quand on passe d'efforts individuels à collectifs, le résultat est franchement meilleur, en coûts, en qualité de vie, en adéquation aux nécessités.

 

Dans ce cas,

  • Le logement n'est plus considéré comme une marchandise, mais comme un bien d'usage auto-produit. On privilégie alors la valeur d'usage sur la valeur d'achat, et l'on valorise l'auto-production dirigée ou accompagnée.

  • Le logement n'est plus un produit fini, modèle non transformable, non adapté aux us et coutumes ni à l'évolution de la famille, mais devient un processus. Il répond à la pratique sociale, à l'évolution des besoins et des ressources, l'agrandissement du logement peut se faire de manière progressive.

  • Le logement n'est plus un produit économique limité par la loi du marché et les ressources financières d'investissement, mais devient un bien social potentiellement abondant, soit autant de logements que de besoins.

  • Le logement n'est plus considéré comme un objet, production industrielle destinée à la vente, quantitative, mais comme un acte d'habiter. Il prend une dimension qualitative, prenant en compte la culture, l'histoire et l'environnement social. Ceux qui le produisent y vivent.

     

Coop d'habitat (12)Contrairement à l'habitat social, qui ne permet pas de mixité sociale, et où les bénéficiaires restent passifs (ils reçoivent un logement « produit fini »), dans la production sociale d'habitat, les bénéficiaires sont actifs. Ils s'impliquent dans tout le processus, de la conception à la construction des logements, en passant par le financement. Ils participent également à la conception, la construction et la gestion des services collectifs associés. Ils sont membres de la coopérative, et par conséquent solidairement responsables du bon fonctionnent des services collectifs, et du remboursement des prêts.

Le terrain et les constructions appartiennent au collectif, avec usufruit des logements par les familles. L'emprunt est fait au nom du collectif, mais le remboursement est effectué par chaque famille, sur un contrat passé avec la coopérative, qui définit la quote-part à payer et le nombre de traites. Ce système permet d'éviter la mise en hypothèque de la maison, car la famille n'est pas propriétaire, et ainsi de sauvegarder la qualité de vie, et surtout éviter que le logement n'aboutisse sur le marché spéculatif. En outre, sans cette dimension collective, l'emprunt individuel isolé ne serait pas possible.

Coop d'habitat (22)Le prêt est réalisé sur 20 à 25 ans. Si une famille doit partir, pour une raison ou une autre, la coopérative lui rembourse sa quote-part déjà versée. La famille suivante repartira sur un nouveau contrat du même nombre d'années, pour conserver l'équité entre les associés.


De plus, dans l'idéal, la production sociale de logement devrait permettre une mixité sociale. En tout cas, rien ne l'empêche, même si elle vise prioritairement les bas revenus.

 

Ce retour sur l'habitat à gestion collective ramène les femmes et les hommes à la conscience de leur appartenance aux territoires, aux systèmes de vie.

 

Mais pour qu'un tel projet fonctionne, il requiert l'intervention publique, à 2 niveaux :

  • l'État sur l'aide au financement ;

  • la municipalité sur l'attribution du terrain et la facilitation de l'accès aux services de base (eau, électricité, évacuation des eaux usées et des déchets, chemins asphaltés, ...).

 

Les contraintes, limites et points d'achoppement ...

 

Coop d'habitat (19)Au niveau des États :

  • clientélisme ;

  • crédits de déboursement gelés en cas de changement de gouvernement (l'attente peut durer un an, sans pouvoir lancer les constructions). La conséquence peut s'avérer importante sur la motivation des associés et fragilise le système ;

  • absence de cadastre national qui détermine de façon transparente la situation effective de détention des terres et les conditions de leur appropriation ;

  • manque de consolidation du plan d'ordonnancement national ;

  • déficit de planification stratégique au niveau national, départemental, municipal ;

  • les municipalités n'avancent pas dans leur plans de développement et d'ordonnancement urbain et territorial ;

  • quand il y a des lois et des décrets, pas de mise en pratique par les autorités, ni législation spécifique qui permette de rendre effectif l'exercice du droit ;

  • quand elles existent (comme un fonds national au logement), les ressources sont déviées ou mal utilisées ;

  • peu de participation des secteurs populaires dans la mise en place des politiques et l'administration des ressources ; l'administration centralisée reproduit un modèle vertical, autoritaire et sensiblement exposé à la corruption.

 

Au niveau des coopératives et des associés :

  • Passer d'un comportement individuel (survie, pas de compte à rendre) à collectif (entraide, respect, valeurs) n'est pas toujours évident;

  • Vivre plus dignement et plus sûrement, sans craindre chaque jour l'expulsion, c'est aussi accepter des contraintes :

  •  
    • Appliquer et faire respecter les règles de la communauté;

    • Payer l'électricité et autres services (dans le cas de logements « illégaux », tout est gratuit...). A ce titre, les conseils d'administrations des coopératives doivent se battre pour faire entendre et respecter ces états de faits;

    • La responsabilité collective en cas de non paiement d'un associé.

  • L'exigence de solvabilité, pour rembourser l'emprunt sans peser sur le collectif, requiert l'existence d'un travail régulier, ou d'un apport régulier de revenus par le ménage. Les coopératives concernent donc pour l'instant une frange de la population de catégorie moyenne-inférieure, mais pas les plus pauvres.

 

Coop d'habitat (17)Le moyen d'étendre le concept aux catégories inférieures serait de concevoir un projet global incluant des activités économiques génératrices d'emploi, régulières et durables, pour les membres de la coopérative et leur famille, comme ce qui a été pensé par la coopérative de Tobati.

 

Tobati, à 3 heures de bus au sud de la capitale paraguayenne Asunción, est un village où a été construit un quartier d'habitat social dispersé où vivent actuellement 800 familles guarani, dont certaines avaient déjà leur terrain.

La coopérative, présidée par une femme, comprend 106 associés, avec le projet de faire adhérer à terme l'ensemble des familles.

Une école et un dispensaire sont en cours d'édification. La coopérative souhaite fabriquer sur place les briques qui serviront à la construction des futures logements, ce qui permettra de réduire significativement les coûts de matière première, et de créer de l'emploi. Le savoir-faire existe car la zone est spécialisée dans la fabrication des briques en terre cuite (il y a plus de 20 usines artisanales à Tobati).

Le projet global inclut en outre la création de commerces et services de proximité, comme une boulangerie, une épicerie, un magasin général, pourquoi par une garderie d'enfants, car le quartier est excentré.

Toutes ces activités et services pourront donner de l'emploi à ceux qui en ont besoin. Reste, pour les mettre en place, à trouver les associé(e)s motivé(e)s et les aides aux financements adéquats, notamment pour les investissements.

 

 

Les facteurs clés de succès...

 

  • Mobilisation et incidence politique des organisations de la société civile : tout ce qui a été acquis par les secteurs sociaux, tant les lois que les plans et programmes gouvernementaux ont été le fruit des luttes populaires et des mobilisations. Face à l'impunité dont jouit les autorités sur la mise en pratique des textes légaux, le renforcement de l'organisation de la société civile devrait permettre d'exiger de l'État d'accomplir les lois. Pour cela, la lutte sociale doit cesser d'être stigmatisée et criminalisée, les mouvements sociaux doivent être reconnus, renforcés, coordonnés, pour :

  •  
    • la défense des droits ;

    • la construction de propositions concrètes au niveau local, régional, national.

  •  Mobilisation des États :
    • Formuler un plan national du logement, avec récupération des terres mal-acquises et cession de terrains destinés à la construction de logements sociaux ;

    • S'il n'existe pas, faire réaliser un cadastre national;

    • Créer d'une banque de terres, administrée et contrôlée par une instance officielle articulée entre les municipalités et les organismes publics liés à la thématique, avec la participation de référents des différents secteurs de la société : corporations, organisations sociales, mouvement coopératif, pour une administration correcte et transparente, avec des normes claires et des procédures strictes quant au contrôle de l'usage et de la distribution des terres;

    • Fonds dédié de prêts au logement et aux investissements des services collectifs;

    • Créer des cadres légaux adéquats.

  • Travail conjoint de l'État et des organisations de la société civile (collectifs, coopératives) :

  •  
    • Conception des programmes et plans pour l'accès à la terre et la production sociale d'habitat. Les sociétés civiles peuvent tenir un rôle consultatif et de conseil.

    • Approbation des lois par les organisations sociales, avant leur mise en pratique.

    • Contrôle du bon usage de la loi et des fonds.

  • Conseil technique et accompagnement par des professionnels, qui doit être compris dans le budget financier de départ.

  • Intégration de la question du genre dans les coopératives : les coopératives d'habitat sont mixtes par nature, mais c'est en général le mari qui est associé au nom de la famille, lorsque n'est accepté qu'un membre par famille. Et celui-ci consulte rarement son épouse avant d'aller voter. L'évolution serait de permettre la présence des 2 membres du couple, pour assurer l'équité homme/femme dans les votes et dans la représentation politique au sein du conseil d'administration.

Coop d'habitat (25)

 

Petit lexique pour clarifier quelques notions :

 

* Territoire/terre/sol

Le territoire fait référence au collectif, c'est l'espace où l'on vit, auquel on appartient : « espace vécu et perçu où les hommes et les femmes pratiquent et reproduisent la vie en communauté, sa culture et ses rituels, la production de biens matériels, son organisation sociale et politique, établissant une relation d'équilibre entre la terre-mère et la nature ». Le territoire, tout comme la nature, ne devrait pas être sujet à spéculation, puisqu'il ne s'agit pas d'une propriété mais d'un concept spatial, lié tant à la géographie qu'à la culture.

La terre fait référence à la propriété, individuelle ou collective, rurale ou urbaine (terrain). Elle fait partie du territoire.

Le sol fait référence à la superficie. Le droit au sol est le droit à disposer d'un bout de terre, soit d'une partie du territoire, quantifiée et mesurée.

 

* Habitat

Le concept d'habitat ne se réduit pas au logement, il s'articule avec les processus de génération de rentes ou de revenus, environnement sain, participation citoyenne, et justice sociale en général.

 

* Le Vivre Bien

Nouveau paradigme sociétal, qui privilégie la qualité de vie, en opposition au vivre-mieux, c'est à dire au modèle de développement capitaliste prédominant du « toujours plus », qui mercantilise tout.

 

 

Références : CCVAMP (Central de Cooperativas de Viviendas por Apoyo Mutual del Paraguay), coordination du CCS en Bolivie, et 3 livres de compilation et d'analyse du Centro Coopérativo Sueco (CCS) – Edition Trilce, engagé dans l'appui à ces projets, sur le droit au sol, les chemins possibles, et les facteurs clés de succès, à partir des 50 ans d'expériences des coopératives d'habitat en Amérique Latine.

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C
Bel article (un de plus :)). Le droit au logement, à la terre, pour tous, est un droit bafoué au niveau mondial. Sans doute plus criant dans certaines contrées ... L'humanité ne se remettra jamais<br /> des méfaits du libéralisme, de la marchandisation de tout (car tout est devenu marchandise). C'est révoltant et désespérant. Petite consolation : ce que tu évoques au travers des expériences<br /> coopératives que tu as rencontrées tout au long de ton voyage !
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T
<br /> <br /> Heureusement que l'on rencontre quelques belles initiatives comme celle-là, qui nous permettent encore d'espérer que tout n'est pas complètement pourri sur cette terre. Il faut continuer à croire<br /> aux utopies, car ce sont elles qui pourront changer le monde.<br /> <br /> <br /> <br />