Lunas, femmes et écologie

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Lunas (10)Tumbaco, Equateur, juin 2013.

 

Lunas prend soin de notre corps et de notre planète”.

Paulina, Camila et Geneviève, trois jeunes femmes trentenaires pleines d'énergie, se sont lancées il y a 6 ans dans une entreprise singulière : la confection et la vente de serviettes hygiéniques écologiques ! Qu'elles ont nommé Lunas, tout naturellement, en référence à l'appellation du cycle féminin en espagnol.

Le slogan : “elles sont pratiques, réutilisables et biodégradables. Elaborées à base de tissu en coton, elles nous maintiennent fraiches, propres, en toute sécurité”. Comment y résister ?!

 

L'idée, Paulina et Camila l'ont ramenée du Brésil. Ces serviettes, qui pourraient paraître d'un autre temps, comme une régression, ont au contraire été une révélation pour ces jeunes femmes, en recherche d'alternatives.

 

D'abord, le concept correspond à leur manière de vivre, en harmonie avec la nature. Pauline est conseillère en permaculture, elle cultive son potager “bio”, fait son pain et son fromage, et récupère les eaux de pluie. Camila vit dans une maison écolo, loue un espace sauna, vend sur les marchés écolo des mueslis qu'elle confectionne elle-même, fait du théâtre et passe des heures à s'occuper de ses chats et de ses plantes dans son grand jardin fleuri. Geneviève, qui a rejoint l'équipe un peu plus tard, est passionnée de randonnée nature, et se consacre à la construction de sa maison écolo, quand elle n'est pas sur les foires à vendre les Lunas.

Toutes trois habitent à Tumbaco dans la banlieue de Quito, une ville où fleurissent les initiatives écologiques et alternatives. Ca aide.

 

Lunas (18)Ensuite, elles ont pris conscience de l'importance pour une femme de tenir compte de son cycle menstruel, qui génère de nombreux changements dans son corps, un rythme différent que chaque femme devrait respecter. La “révolution” des tampons permet aux femmes de ne rien changer à leur vie quotidienne, à conserver le même rythme de vie pendant ces périodes, comme si de rien n'était. Et bien Lunas prend la technologie à contre-courant, et revendique le droit de la femme non pas d'occulter mais au contraire de vivre sa menstruation de la manière la plus consciente et la plus naturelle !

 

Enfin, à l'usage, nos amies se sont rendu compte des bénéfices de ces produits naturels sur leur santé, ce qui n'est pas le moindre argument : plus de problèmes d'allergies ou d'infections, qui ne se disent pas mais sont en fait très répandues chez les femmes.

Et à propos justement de ces sujets tabous, par leur manière d'aborder simplement le sujet, elles font tomber les barrières de la timidité, et amènent les femmes à parler de leur intimité comme d'un autre sujet.

 

Lunas (17)Au départ, Paulina et Camila n'ont pas pensé à l'entreprise. Elles ont adopté le produit pour leur usage personnel et l'ont fait découvrir à leur entourage, parce qu'elles étaient convaincues de ses bienfaits.

Comme elles participent régulièrement à des cercles de femmes, elles en ont parlé plus largement, et ont commencé à avoir de nombreuses demandes.

Alors qu'elles avaient confectionné les premières Lunas pour elles-mêmes, de manière tout à fait artisanale, elles se sont retrouvées rapidement face à un flot de commandes.

 

Fortes de ce succès inespéré, et de leur capital sympathie, nos jeunes amies ont alors du s'organiser pour répondre à la demande croissante des femmes qu'elles avaient convaincues à leur tour :

  • elles ont cherché des fournisseurs de tissus, de fabrication locale si ce n'est organique;

  • elles ont contracté une couturière pour la confection des serviettes en « série »;

  • elles ont dessiné les produits et réalisé des tests;

  • elles ont étudié les coûts de production et élaboré les prix de vente;

  • elles ont trouvé un nom, un logo, édité des dépliants explicatifs;

  • elles se sont constituées en association pour obtenir rapidement et facilement une personnalité juridique;

  • elles ont trouvé un local dans un lieu collectif « alternatif », et commencé à vendre sur les foires artisanales, de commerce équitable, les lieux de colloques...

 

Lunas (12)Petit à petit, elles ont structuré leur petite entreprise, intégré de nouvelles personnes et constitué un réseau pour la diffusion des Lunas, tout cela sans aucune aide extérieure, et à partir de leurs propres deniers.

 

Nos trois entrepreneuses sont aujourd'hui à une étape charnière de leur développement. Elles sont satisfaites des résultats et des retombées positives de la vente des Lunas, mais ne gagnent pas encore suffisamment pour s'y consacrer à plein temps.

La question est de savoir dans quelle mesure elles veulent développer la diffusion du produit et pourquoi ?

La réponse au pourquoi est simple : elles sont convaincues de ses bienfaits, et souhaitent diffuser le concept plus largement, et le rendre accessible à toutes les classes sociales (ce qui n'est pour l'instant pas le cas, car c'est un produit économique à long terme, mais cher à l'achat instantané).

Développer où et jusqu'où ? S'y consacrer ou non à temps plein ? Donner priorité à Lunas sur ses autres activités ? Là, les avis et intérêts divergent. Geneviève voudrait bien, Camila est tentée mais a beaucoup d'autres activités, Paulina est sur d'autres projets professionnels et personnels. Peu importe finalement que chacune ait une visée différente, car elles peuvent s'organiser en fonction, mais l'important est plutôt de se mettre d'accord sur l'implication voulue de chacune, afin de savoir ce qui sera possible à réaliser, et dans quels délais. Une chose sur laquelle elles sont d'accord : développer l'entreprise, oui, mais tout en conservant sa qualité de vie.

 

Lunas (15)Progressivement, elle devront également penser à changer de statut, pour s'adapter à la réalité de l'activité. Le statut coopératif semble tout désigné, car il correspond tout à fait à leur éthique et à leur mode de gestion.

 

Pour l'heure, nos trois amies structurent leur entreprise. Elles ont maintenant en main quelques outils pour maitriser leur développement au lieu de le subir, programmer leur avenir, et se donner des objectifs dans le temps, en fonction de leurs envies et de leurs disponibilités :

  • un outil de gestion des stocks qui devrait permettre de traiter un volume plus important,

  • un outil de suivi comptable et financier,

  • un calcul du seuil de rentabilité,

  • une matrice d'analyse stratégique,

  • un plan opérationnel.

 

Lunas (13)Il y a fort à parier qu'un peu mieux structurée et professionnalisée, la petite entreprise artisanale va rapidement croître, vu le succès rencontré à chaque cercle de femmes, ou sur les foires auxquelles elles participent, sans qu'elles fassent trop d'efforts. Pour l'instant, elles ont le bénéfice du monopole dans leur pays, voire dans les pays voisins (Pérou, Bolivie, Colombie). Mais elles restent modestes. Elles ne souhaitent pas devenir une grosse entreprise, ni entrer en concurrence avec les grosses firmes aux moyens marketing lourds. Elles veulent plutôt accompagner de nouvelles initiatives à taille humaine à voir le jour, afin que le produit conserve une dimension locale et artisanale.

Ce qui les sauve pour l'instant de la concurrence des grandes firmes, qui pourraient voir là une opportunité de gains supplémentaires, c'est que le produit ne se vend qu'accompagné d'un dialogue avec l'acheteuse potentielle. Ce n'est pas un achat impulsif, mais conscient et volontaire, sur la base d'un argumentaire éducatif et engagé. D'autre part, c'est un produit lavable, qui ne se jette pas, donc se renouvelle peu … Lunas pourra par conséquent se réclamer de l'économie alternative et solidaire pour encore un bon moment... espérons.

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