Femmes d'Equateur, de l'action politique à l'entrepreneuriat

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Quito - Esmeraldas - Bocana de Lagarto, mai 2013

 

Femmes Equateur (6)Les femmes sont actives dans les mouvements politiques en Amérique Latine (dont l'Equateur) depuis le début du 19ième siècle. Cependant, c'est à la fin des années 1960 où l'on constate l’augmentation la plus importante de la mobilisation et de la visibilité politique des femmes et du mouvement féministe, en Amérique Latine tout comme en Amérique du Nord et en Europe.

Deux types de mouvements se sont développés en parallèle, les féministes et les collectifs de femmes issus des milieux populaires. Les uns s'appuyant sur les autres pour promouvoir et développer leurs actions.

 

Les revendications des unes portent sur la reconnaissance et le respect du genre féminin dans la vie publique comme dans la vie privée, quand les autres luttent pour obtenir de meilleures conditions de vie.

Après la seconde guerre mondiale, les femmes de milieux urbains ont monté des associations de quartier, pour demander des équipements et des services urbains, la baisse des prix des denrées de base et l’accès à des services de santé et d’éducation. Ces types de mobilisation, antérieurs à la vague féministe des années 60, sont considérés comme étant la voie typique de participation publique des femmes dans les pays d’Amérique Latine.

 

Femmes Equateur (10)À la suite de l’aggravation de la crise économique, dans les années 1970, des centaines de groupes de femmes des milieux populaires ont proliféré dans tout le sous-continent à la recherche de « stratégies de survie collectives ». Ces groupes ont développé toute une gamme d’initiatives et d’actions collectives dans le but de couvrir les besoins alimentaires, assurer des soins de santé aux enfants, démultiplier les ressources non-monétaires et abaisser le coût des biens indispensables. A cette époque se sont créées des cantines collectives ou communautaires.

Au niveau de leurs rapports aux institutions et aux autres mouvements sociaux ou politiques, ces groupes ont attiré l’attention et l’aide de l’Église, des partis de gauche, des agences internationales de développement ou autres bailleurs de fonds internationaux. Ils se sont souvent constitués en réseaux et fédérations qui leur ont donné du rayonnement et parfois une influence au niveau national. Bien qu’elles s’identifient rarement au féminisme, ces organisations ont généralement été valorisées par les féministes pour leur démocratie interne, leurs pratiques de rotation du leadership et, dans certains cas, leur absence de hiérarchie formelle.

 

Les années 1980voient naître un nouveau courant, le feminismo popular(féminisme populaire). Le principe est de partir des préoccupations et des luttes des femmes des milieux populaires pour développer graduellement une conscience féministe des inégalités de genre, combinant ainsi les revendications féministes avec celles des femmes des milieux populaires. Ces initiatives donnèrent notamment naissance aux mouvements d'éducation populaire, assortis de centres de recherche et d'action.

Femmes Equateur (7)Tandis que les centres d'éducation populaire se consacrent plus particulièrement aux apprentissages de base (alphabétisation) et aux formations professionnelles, les centres de recherche et d'actions organisent en outre des conférences, pratiquent l’intervention féministe, créent des médias alternatifs, mettent en place des services de santé, d’assistance juridique pour les femmes violentées, d’aide aux victimes de tortures et de la répression, etc...

 

L’expansion rapide du nombre de femmes ayant une formation universitaire, ainsi que le retour des exilées politiques qui avaient fui les régimes autoritaires auraient contribué à la prise de conscience des inégalités entre les hommes et les femmes, au sein de ces mouvements comme de la société en général.

En outre, la décennie de la femme de l’ONU, ainsi que la première grande conférence onusienne sur les femmes à Mexico en 1975, ont favorisé une certaine internationalisation du contenu de l’agenda féministe et ont contribué à lui donner de la légitimité aux yeux des gouvernements et des populations nationales.

 

C'est dans ces mêmes années que la condition de la femme est devenue en Equateur une préoccupation politique marquée à l'échelle gouvernementale, les mouvements féministes revendiquant leur place dans les dialogues établis au sein des instances politiques nationales.

Ce mouvement correspond à celui des autres pays d'Amérique Latine, en transition vers la démocratie, après des années de régimes autoritaires.

 

Femmes-Equateur--12-.JPGCette préoccupation s'est concrétisée par la création d'un bureau national de la femme, rattaché au Ministère du Bien-être Social, qui se transforma en Conseil National des Femmes (CONAMU), organisme de droit public créé comme instance étatique, qui fut rattachée à la Présidence de la République par décret en 1997, quelques années avant la création du Secrétariat Présidentiel de la Femme au Guatemala.

Cette transformation fut importante pour les femmes, elle marqua l'une des aspirations les plus profondes des femmes équatoriennes de se voir reconnaître leurs droits comme « base de la démocratie et du développement national ». La création de cette entité répondait, en outre, à la priorité et à l'engagement assumé par l'Etat Equatorien à la IVème conférence internationale sur la femme, qui s'est tenue à Pékin en 1995. Aujourd'hui en Equateur, la présidence de l'Assemblée Nationale est tenue par une femme, et le taux de femmes dans les mandats parlementaires est de 40%.



L'un des axes centraux du travail du Conamu fut la coordination inter-institutionnelle avec toutes les entités de l'Etat, afin de garantir l'exécution de politiques, programmes et projets au bénéfice des femmes et de l'égalité des sexes.

Ainsi, près de 4000 organisations de femmes virent le jour en Equateur, soutenues « moralement » par le Conamu, financièrement et techniquement par l'église ou des organismes internationaux.

En parallèle, se sont créées des instances féministes de droit privé, comme le Forum National Permanent de la Femme Equatorienne, issu du groupe parlementaire des droits de la femme. Le forum se veut être un espace ouvert, point de croisement entre différentes organisations de femmes. Ses thèmes favoris sont le leadership des femmes, l'engagement politique et la parité.

 

Femmes Equateur (9)Le Forum a cependant progressivement élargi son champ d'action, de l'engagement politique à l'appui aux projets d'entreprises. L'entrepreneuriat au féminin est en effet essentiel dans le développement global de la femme, afin notamment de s'affranchir de la dépendance au conjoint, tant morale que financière.

Ainsi, l'action des Forums régionaux vis-à-vis de la problématique de dépendance économique des femmes à leur mari, est de travailler l'auto-estime, l'amélioration des relations intra-familiales, et l'appui à la création de micro-entreprises.

 

Matha est présidente d'une organisation de base, « le collectif des femmes nègres de la Bocana de Lagarto », membre du Forum de la Province d'Esmeraldas. L'histoire de Martha et du collectif illustrent bien les étapes des mouvements de femmes en Equateur.

 

Pendant des années, les 22 femmes qui forment le collectif de la Bocana ont bénéficié de formations au leadership, de formations professionnelles, puis de micro-crédits individuels pour développer des activités marchandes, d'un appui au montage d'une caisse de crédit communautaire, d'appuis techniques et financiers pour mettre en place une boulangerie puis un restaurant collectif.

 

Femmes Equateur (3)Martha a eu l'idée d'ouvrir une boulangerie il y a 7 ans, car il n'y en avait pas dans le village. Un boulanger avait bien essayé de s'implanter il y a une dizaine d'années, mais n'étant pas du village, il a vite été victime de vols, et a préféré abandonner.

L'activité a commencé collectivement, puis progressivement, s'est réduite à une seule employée. Il faut dire que comme l'activité marchait bien, l'une des femmes du collectif est partie monter son propre commerce de pain, emportant une partie du matériel de la boulangerie, et s'installant ... dans la même rue ! Pour ne pas faire de vague, on a laissé faire... drôle d'histoire.

Martha ne s'en est pas laissé compter pour autant. Elle a bénéficié d'une donation sur un nouveau programme d'entrepreneuriat, fait un crédit pour acheter la matière première et s'est lancée à nouveau dans l'aventure, mais seule... la concurrence est rude entre les 2 boulangeries ! Martha confectionne 200 petits pains deux à trois fois par semaine, qu'elle vend aux habitants du village, au prix dérisoire de 5 cts pièce. Elle ne doit pas manquer la fournée du lundi, car c'est son jour de vente le plus important !

 

Femmes Equateur (2)Démarré en 2009, un programme d'appui a la création d'entreprise de deux ans a bénéficié à d'autres femmes du collectif. Ainsi, 12 personnes (11 femmes, 1 homme) se sont investies dans la création d'un restaurant communautaire, dont l'activité a démarré début 2013. Certaines femmes avaient la connaissance technique, elles avaient travaillé dans la restauration, ce qui facilita la création. Elles ont eu un appui financier pour les investissements, et technique sur la réalisation du plan d'affaires. Elles ont du également contracter un emprunt auprès d'une coopérative d'épargne et de crédit. L'enjeu de réussite est donc important car il y a le remboursement de l'emprunt à honorer chaque mois, sans alternative.

 

Tout comme pour la boulangerie, l'activité a commencé avec du monde, et peu à peu, s'est réduite à quelques personnes, les plus motivées. La raison principale est le manque de revenus immédiats. En effet, selon le nombre de clients, l'activité génère plus ou moins de bénéfices. Car l'on doit d'abord payer les achats de matière première, les frais fixes (gaz, électricité), puis le crédit... et l'on se partage le solde en dernier, s'il en reste. C'est une activité qui nécessite du temps pour son lancement, lourde en investissements, et qui demande par conséquent de la patience pour en voir les retombées financières. La plupart des femmes ont donc préféré retourner à leur activité personnelle de décorticage de crevettes, qu'elles vendent au jour le jour sur le marché, et qui leur apporte chaque jour un revenu assuré.

Femmes Equateur (5)Pourtant, Martha affirme qu'il y a un potentiel, toutes les possibilités n'ont pas été exploitées. L'activité majeure est le plat du jour, servi entre 11 et 15 heures aux pêcheurs, principalement, et aux familles le dimanche. Les femmes du restaurant ont bénéficié d'une opportunité de faire la cuisine pour l'école maternelle du village, qui assure le salaire de 2 postes au quotidien (20$ par jour). Il reste a proposer un service de traiteur et livraison à domicile, qui pourrait avoir du succès, et générer d'autres emplois. Mais aucune ne semble bien motivée pour se lancer dans l'aventure.

 

Par ailleurs, malgré les formations reçues, il manque encore des outils simples et adaptés de gestion et de réflexion stratégique, qui pourraient participer à la motivation du groupe. L'activité est gérée au jour le jour, sans vision future, sans objectifs. Comment se motiver alors à travailler, si l'on ne sait pas où l'on va, comment, et pour obtenir quoi au final ?

La problématique pour ces projets est donc de passer d'une gestion au jour le jour, sur le modèle de la gestion ménagère, que ces femmes maitrisent plutôt bien, à la gestion financière et prévisionnelle d'une entreprise, au moyen de quelques outils d'aide à la décision simples et efficaces.

 

Femmes Equateur (4)Il faudrait des outils qui servent à vérifier le ressenti, la connaissance empirique du marché ou de l'activité, à donner des preuves, à connaître précisément les variations d'activité afin de mieux gérer les stocks de matières premières, effectuer les achats au plus juste, à calculer les objectifs, à servir d'alerte pour réviser le prix de vente, à prévoir et calculer les investissements, à organiser le développement de l'activité sur l'année, à projeter l'année suivante … Ces outils existent mais ils sont à adapter à la réalité du niveau de connaissance des femmes de ces collectifs. Simplifier sans doute, expliquer sûrement, vérifier l'appropriation et assurer un suivi, évidemment.

 

En outre, le système d'incitation à la micro-entreprise par la distribution de micro-crédits contribue certainement à la disparition de l'esprit collectif de ces groupes. Car « on fragmente à nouveau la vision du monde social et on place les acteurs dans des espaces qui les isolent, ce qui peut empêcher la formation d’une conscience collective et la mobilisation, voire la connaissance de leurs droits sociaux ».

 

Femmes Equateur (11)C'est par conséquent l'entrepreneuriat collectif qui est remis en cause, y compris dans ce petit bout du monde de la Bocana. Martha, la « leader » du groupe se démène pour que les femmes s'investissent pour le collectif, mais elle se heurte au manque de motivation. Les temps changent. Il y a 20 ans, l'enjeu pour les femmes était grand, et les aides faibles. Les femmes se sont donc solidarisées pour lutter afin d'améliorer leurs conditions de vie. Aujourd'hui, les conditions sont-elles vraiment meilleures, ou les motivations parties ailleurs ? Toujours est-il que les aspirations sont d'avantage individuelles que collectives, c'est un fait.


Certains analystes indiquent qu' « en Amérique latine, les femmes ont pris part de facto, et ce depuis des décennies, que ce soit dans l’espace public ou dans l’espace privé, ou domestique, à des activités que l’on qualifie aujourd’hui d’économie sociale ou économie solidaire parce qu’elles contrastent avec la forme dominante de l’entreprise et de l’activité économique capitaliste, qui vise essentiellement le profit ». Qu'en est-il aujourd'hui ? Quel autre modèle que la société de consommation et du gagner-vite-et-facile reçoivent les jeunes du monde entier actuellement, hommes ou femmes ?

 

« Le défi, pour le mouvement des femmes, est donc de continuer à construire des ponts politiques entre les luttes quotidiennes pour l’amélioration des conditions de vie et les analyses féministes susceptibles de proposer des alternatives à un ordre de genre patriarcal et au modèle de développement néo-libéral qui s’est imposé dans toutes les régions du monde ».

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