Un Famadihana à Belazao
Belazao, 13 août 2011
Le « famadihana » est la cérémonie traditionnelle de « retournement des morts », une pratique « endémique » de Madagascar. Selon les régions, la pratique diffère mais le principe reste le même : honorer les ancêtres en leur apportant un nouveau linceul, et faire la fête à l'occasion !
4h30 du matin. Il fait encore froid et nuit. Les oiseaux commencent à peine à chanter. La musique de la fête de la veille, préalable à l'exhumation, vient à peine de s'arrêter. Nous nous levons pour préparer la deuxième étape du Famadihana : l'ouverture du tombeau.
Il ne faut pas tarder car la porte du tombeau doit être descellée avant le lever du soleil, afin de garder secret la cachette de la serrure. Il faudra plus de 2 heures pour parvenir à ouvrir le tombeau.
En attendant l'arrivée du fils, avec le véhicule qui transportera le cercueil dans sa nouvelle demeure, nous partons nous réchauffer devant une tasse de thé.
8h30. Le fils arrive. Nous faisons une prière, afin de demander aux défunts l'autorisation d'exhumer l'ancêtre concerné. On leur offre un peu de rhum pour les amadouer, et l'on sort le cercueil de la grand-mère. Une nouvelle prière est faite, un linceul blanc en soie est posé sur le cercueil dépoussiéré.
On scelle à nouveau le tombeau avant de partir. Car il paraît qu'il existe un trafic d'ossements, qui sont volés pour être revendus très chers (2 millions d'Ariary soit 800€ le kilo) !
10 heures. Le véhicule « pic-up » bâché s'ébranle, avec à l'arrière le cercueil, entouré par les membres de la famille, assis sur des poufs. Nous partons pour le village de Belazao, où se trouve le nouveau tombeau.
Belazao signifie littéralement « beaucoup parler », c'est à dire l'endroit où l'on a beaucoup à dire !
Après ½ heure de route et de piste, ainsi que le passage du poste de police où sera vérifiée l'autorisation de transporter le cercueil, le pic-up arrive à la maison de l'un des fils, où est organisée la fête. Le cercueil est déposé sous une grande bâche bleue, devant les tables des convives.
Un peu plus tard, arrive un autre défunt, porté par des hommes de la famille, accompagné par une fanfare. Celui-ci n'a pas de cercueil. Son corps recouvert d'un simple linceul est transporté dans une grande natte en osier.
La grand-mère est ainsi rejointe par 2 autres défunts de la famille. Ils seront tous enterrés dans le nouveau tombeau.
11 heures. Les invités se pressent pour venir déguster le plat traditionnel offert par la famille à cette occasion : le « vary be manaka », littéralement « riz beaucoup d'huile », qui est un plat de riz accompagné de viande de porc et de bœuf cuites dans l'huile.
L'ensemble en fait effectivement un plat assez gras ... à consommer avec modération. Mais gare à celui ou celle qui finit son assiette trop vite : il ou elle est resservi(e) généreusement, à satiété !
A la fin du repas, chaque famille donne sa participation financière, qui est notée sur un cahier.. en espérant un rendu d'au moins la même valeur lorsque viendra son tour. Cette pratique s'appelle « atero kalao », qui veut dire « on donne et on reprend ».
Le nombre de tables et l'espace étant réduits, les convives doivent attendre leur tour pour manger. Ceux qui ont déjà pris leur repas font leur sieste digestive dans un coin du jardin.
14 heures. Une fois tout le monde rassasié, une messe est dite en l'honneur des défunts. Pendant l'office, une poule et ses 12 poussins, en profitent pour picorer les restes du repas, gras de viande et grains de riz, dont ils se régalent, imperturbables...
15 heures. Après la pause religieuse, la fanfare reprend son office. Les cercueils sont emportés en musique, sur des airs de fête, dans une belle cacophonie. Car les instruments de la fanfare, d'un autre âge, n'ont semble-t-il jamais été ré-accordés... ce qui n'empêchent les tambours, trompettes, trombones à coulisse et clarinettes de s'en donner à cœur joie. Et les aînés de mener la danse devant le cortège, qui n'a rien de funèbre ! Les ancêtres sont secoués et ballotés de droite et de gauche pendant leur acheminement vers le tombeau.
Celui-ci est situé dans un champ à quelques 500 mètres de la maison familiale.
Disposés autour du tombeau, des stands de ravitaillement, boissons et snacks en tout genre, attendent les chalands.
16 heures. Les parents des défunts, les hommes seulement, montent les cercueils sur le toit du tombeau, histoire de leur faire prendre un peu le soleil. Là, ils sortent les corps des cercueils et les enroulent dans de nouveaux linceuls en soie. Pour l'anecdote, ils enrouleront ensemble le mari et la femme, qui pourtant avaient divorcés... désunis dans la vie, réunis dans la mort.
Pendant ce temps, la famille continue à danser devant le tombeau.
Les défunts restent ainsi sur le toit du tombeau jusqu'au déclin du soleil. Puis, avant leur descente, le fils maître de cérémonie verse du rhum sur les 4 coins du tombeau. Perchés sur le toit, les fils aînés prononcent un discours. On fait monter le maire du village qui certifie l'autorisation du déplacement des corps et leur enterrement dans ce nouveau tombeau. On en profite pour mettre à l'honneur également le maçon, et pour faire une quête.
Une fois les discours terminés, on fait faire 7 fois le tour du tombeau aux défunts, dans un sens précis, avant de les faire entrer dans le tombeau, les pieds devant.
17h30. On referme le tombeau. Les invités se dispersent, chacun rentre chez soi, les défunts retrouvent le calme de leur tombe ... jusqu'à la prochaine exhumation.
