L'histoire de Madame Kommaly... portrait d'une femme d'exception

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Madame Kommali, Laos (Large)Laos, juin 2012

 

C'est dans les moments les plus difficiles et stressants que les grands personnages émergent”.

 

A la lecture de l'histoire extraordinaire de Kommaly, l'on pourra se demander comment elle a pu former sa “vision”, trouver la force intéreure et réussir à faire exister son projet, en dépit des circonstances les plus tragiques.

 

Une enfance sacrifiée

 

Kommaly est née en 1947 dans un environnement de montagnes couvertes de forêts luxuriantes, aux terrains cahotiques, lorsque les villageois marchaient ou se déplacaient encore à cheval. L'on peut penser que c'était un paradis, mais non, Kommaly est née sur une terre de tumultes et de conflits. La guerre entre les français et les vietnamiens avait débordé de l'autre côté de la frontière, dans le nord du Laos. Au lieu de beauté et de paix, ses souvenirs sont des soldats réduisant les villages en cendres et forçant les habitants à les aider à transporter des vivres et des armes. Quand leur vie est devenue intolérable, les familles ont fui dans la forêt pour se cacher.

 

Lorsque la présence française s'est réduite, les communistes ont pris le contrôle de deux provinces du nord. Ces derniers et les nationalistes royalistes basés à Vientiane (soutenus par les USA), rivalisèrent pour reconquérir le pouvoir. Le peuple s'est trouvé pris en étau et beaucoup périrent à cette période, des familles furent séparées quand les gens furent enrôlés dans les armées des deux bords. Parfois des membres de la même famille se sont entretués sans le savoir.

 

La fuite

 

Cette vie de peur allait à l'encontre du rêve de Kommaly de liberté, d'éducation et d'une vie de famille réunie. A l'âge de 13 ans, elle décida de s'enfuir vers le sud, seule, loin de sa famille et de ses cousins. Elle erra, pieds nus, à travers la jungle pendant deux jours, jusqu'à ce qu'elle tombe sur un camp royaliste, où elle trouva un oncle qui faisait partie du régiment. Avec sa famille, d'autres réfugiés et des soldats, elle traça son chemin avec précaution vers le sud, à travers le dangereux territoire de Xieng Khouang, où les deux parties possédaient des poches de contrôle. Se déplacer la nuit, sous le couvert de l'obscurité, et ne jamais savoir quel camp ils allaient croiser, fut une terrible épreuve.

Quand les pieds de Kommaly devinrent infectés et gonflés, l'un des membres les plus âgés du groupe la porta sur son dos. Fort heureusement, ils arrivèrent finalement dans un camp de réfugiés qui prenait en charge les enfants malades, et Kommaly effectua le reste de son voyage en avion jusqu'à l'hôpital de Vientiane.

 

Lorsqu'elle guérit, elle avait 14 ans, elle fut adoptée par son oncle. La vie dans une grande ville était étrange et inconnue. Ce ne fut pas facile pour elle, mais elle y vécut également des expériences formidables. Elle peut encore se rappeler le frisson que lui procura le fait de chausser sa première paire de sandales. Quel moment palpitant ! Et enfin, la chance d'aller à l'école et de se sentir libre !

 

Education

 

Kommaly finit ses études secondaires et partit faire des études d'infirmière. Pendant cette période, la guerre s'intensifia, les USA commencèrent à bombarder les régions du nord et la population s'enfuit pour rester en vie. Son propre père fut tué, laissant derrière lui sa mère et deux soeurs. Finalement, elles furent toutes réunies à Vientiane avec l'aide de son père adoptif. Aussi, tout au long de ses études, elle fit du tissage et vendit des vêtements pour aider à payer les dépenses de la famille et de l'école.

 

A 18 ans, Kommaly rencontra Noulième Chantavong, qui allait devenir son mari. Sa vie devint meilleure. Elle obtint une bourse pour continuer ses études d'infirmière en Thaïlande, avant de retourner travailler pour l'hôpital public. Puis Noulième reçu une bourse pour aller étudier en France. Pendant six longues années ils restèrent en contact, et à son retour de France en 1972, Kommaly avait 25 ans, ils se marièrent. A ce stade, bien que cela signifia quitter son emploi à l'hôpital, elle décida de monter sa propre affaire d'import-export. Elle vendit des produits du Laos en Thaïlande et en ramenait des marchandises qu'elle vendait aux fermiers laos.

 

Post révolution

 

La fin de la guerre en 1975 et la paix tant attendue n'ont pas apporté la prospérité. Les communistes avaient pris le pouvoir, et un dizième de la population, craignant les changements et ce que cela signifiait, fuirent vers d'autres pays. La famille adoptive de Kommaly en fit partie, laissant la jeune femme derrière elle au Laos. Le gouvernement coupa les communications avec les autres pays et ferma ses frontières avec la Thaïlande. Kommaly fut paniquée. Economiquement, les choses devinrent en effet très difficile.

 

Cette année-là, elle eut son premier enfant. Ce fut la période la plus rude à traverser. Elle fut séparée de sa famille bien aimée qui était dans un pays où elle ne pouvait aller. Elle ressentit une telle peine qu'elle ne peut encore la décrire aujourd'hui. Alors qu'elle désirait quitter le Laos pour rejoindre sa famille, Noulième devait rester au pays pour s'occuper de la sienne. Ce fut le choix le plus dur qu'elle eut jamais à faire. Elle resta au Laos.

 

Trouver suffisamment de nourriture pour sa famille était très difficile. Kommaly dut marcher de nombreux kilomètres pour atteindre différents villages, afin d'échanger ses marchandises contre de quoi manger.

 

De temps en temps, Kommaly traversait en catimini la rivière du Mekong sur un canot, afin de visiter sa famille adoptive dans son camp de réfugiés, et pour acheter de la nourriture en Thaïlande. Elle risquait de se faire tuer si elle était attrapée. Elle fut d'ailleurs capturée et emprisonnée par des soldats Thaï à maintes reprises. Mais elle n'avait pas peur, elle tirait sa force des nombreuses épreuves qu'elle avait déjà endurées.

 

Malgré tout, ceci fut encore une fois une période très douloureuse de son existence. Elle tomba en dépression profonde et voulut mourir, afin d'échapper à la misère et aux circonstances désespérées.

 

Le déménagement

 

Quand Kommaly eut 29 ans, son mari et elle plantèrent un jardin potager pour vendre les légumes sur le marché. Elle forma également un groupe de tisseuses avec dix femmes dans le village de Phontong, dans la banlieue de Vientiane.

Le gouvernement laotien aida le groupe avec des dons de matériel et le financement de la main d'oeuvre : il vit plutôt d'un bon oeil ce groupe de femmes volontaires pour travailler...

Chaque jour, les femmes venaient chez Kommaly pour tisser et prendre le déjeuner ensemble, et s'entraider en ces temps difficiles. Leur compagnie, encouragements et soutien aidèrent Kommaly à guérir de sa dépression. Les choses commençèrent à aller mieux.

 

Elle eut son second enfant l'année suivante et la même année, en tant que leader du groupe de tisseuses, elle décida de diversifier et d'étendre l'activité, en fabricant des sauces de soja et de poisson, à vendre au marché et dans les magasins gouvernementaux. Elle devint connue comme la “femme aux recettes”. Il y eut une grosse demande pour la sauce. Comme les fournisseurs de certains ingrédients se trouvaient en Thaïlande, elle obtint des privilèges du gouvernement pour passer la frontière afin de s'approvisionner. La maligne !...

 

L'arrivée de son troisième enfant l'année suivante n'arrêta pas l'investissement de Kommaly auprès du groupe de femmes, mais son bonheur retomba lorsque sa famille adoptive fut envoyée en Australie. Elle sentit que tout espoir de la revoir était perdu.

 

Pendant ce temps, toutefois, le groupe de femmes avait prospéré grâce à la vente de ses produits.

En 1980, le gouvernement fut très enclin à soutenir la création de coopératives et Kommaly monta la coopérative “Phontong Handicraft”. L'année suivante, le gouvernement envoya Kommaly au Vietnam pour une formation sur le management de coopératives à grande échelle et à Moscou pour une formation en marketing. Belle opportunité : cela permit à la coopérative de croître rapidement.

Chaque année les bénéfices étaient divisés en trois parts : une pour le gouvernement, une pour les associés et un fonds opérationnel. Ceci, en définitive, les aida à gagner encore plus de membres et d'associés. Les productrices elles-mêmes ont eu la possibilité de devenir associées et de prendre part aux bénéfices. Grâce à ce procédé, elles ont gagné au fil des ans du respect au sein de la société et la reconnaissance du gouvernement.

 

Continuité et soutien international

 

Kommaly reçut des conseils, des encouragements et des soutiens pratiques de la part de nombreux individuels et de groupes. En 1987, grâce à de nouvelles rencontres opportunes, elle obtint une permission pour aller visiter des partenaires au Canada, en dépit du fait qu'il était difficile d'entrer en contact avec des organisations étrangères. Successivement, elle fut présentée au responsable de Camacrafts (ONG américaine), qui faisait une recherche sur la possibilité de démarrer un projet au Laos, pour soutenir la production artisanale de la population Hmong (un grand nombre de Hmong, qui étaient alliés des américains pendant la guerre avec le Vietnam, avaient émigré là-bas, formant une diaspora importante aux USA).

En 1990, Camacrafts et Phontong Handicrafts Cooperative mirent en place une joint-venture, avec Kommaly comme directrice, une fonction qu'elle continue à assurer.

 

Developpement et expansion

 

En 1990, le premier ministre visita la coopérative et demanda à Kommaly d'étendre son travail à deux autres provinces dans le nord, en ciblant sur l'amélioration de la production de soie, le tissage et l'élevage de bétail. Elle fit une étude des besoins sur les deux provinces et finalement choisit de commencer à Xieng Khouang (pour des raisons pratiques de meilleur accès routier et de proximité avec les grandes villes).

Après avoir pris conseils auprès d'experts lao et étrangers sur les meilleures méthodes pour élever les vers à soie et améliorer la qualité de la soie, elle mit en place un élevage de vers accompagné d'un centre de formation, avec quelque aide financière d'un ami japonais. L'idée était de revivifier la production de vers à soie, et de promouvoir la production sur toute la chaîne, de la matière première au produit fini.

Sur un hectare de terre, elle planta des mûriers provenant d'un centre d'élevage de vers à soie et d'autres variétés traditionnelles apportées par les villageois.

En parallèle, la formation acquise lui permis d'intervenir directement auprès des villageois et de leur plantations, qui tirèrent grande satisfaction de l'utilisation des nouvelles méthodes : ils virent le rendement de leurs productions s'améliorer nettement.

 

En 1995, le gouvernement donna l'autorisation d'établir la Lao Sericulture Company – une joint-venture entre Kommaly, son mari, et Cama Services.

Plus récemment, le statut d'Organisme de Commerce Equitable fut acté, qui reconnaît dix principes de base de pratique éthique.

 

A ce jour, 900 villageois ont été formés par le centre, et ce sont plus de 2000 personnes qui bénéficient des retombées du projet. De nombreux villageois utilisent la soie pour leur tissage personnel, quand d'autres la vendent à la LSC, qui l'utilise pour son artisanat, vendu tant au Laos qu'à l'étranger.

Cette action leur a permis de rester ensemble en communautés, de profiter d'une vie améliorée, de préserver leur dignité et leur fierté vis-à-vis de leur travail et de leurs traditions.

 

La récompense d'une vie de courage et de labeur

 

Madame Kommaly, comme l'appellent avec respect mais aussi tendresse les employés, peut être fière d'avoir contribué à créer de nombreux emplois dans ses 2 entreprises et au-delà, à préserver la tradition laotienne du tissage artisanal de la soie.

 

Parmi ses nombreuses récompenses, Kommaly a remporté en 2002 le prix UNESCO du meilleur artiste, qui lui apporte une reconnaissance internationale pour la qualité de son travail.

Son rôle en tant que designer, directrice, sa participation au développement durable d'une communauté, l'ont amenée vers la meilleure des récompenses lorsqu'en 2005, elle fut nominée pour le prix Nobel de la Paix.

Elle dit : “nous renforçons la position des femmes en leur donnant un revenu sûr, augmentant ainsi les chances de leurs enfants”.

 

A l'âge de 64 ans, et après une vie empreinte de difficultés et de défis, Kommaly continue de jouer son rôle prenant de directrice, en même temps qu'elle dessine des modèles et des produits. Mais Kommaly va toujours de l'avant, non contente de son approche visionnaire et de son travail innovant déjà accompli, elle a récemment fait des recherches et introduit des teintures naturelles à base de plantes qui sont aujourd'hui cultivées à la ferme, des savons et produits de toilette organiques, du vin de mûre... Kommaly est une chercheuse infatigable.

 

Modeste, elle attribue son succès à son mari qui lui a apporté son soutien, de la force et des encouragements tout au long de ce parcours singulier, et à ses filles qui lui ont apporté bonheur et fierté.

Comme elles ont étudié à l'étranger, elles aussi contribuent aujourd'hui au développement de l'organisation avec leurs compétences spécialisées en business, marketing et design : encore une idée de la maman, qui met de son côté toute les chances pour que son entreprise perdure, de préférence dans le même état d'esprit...

 

Les traumatismes, tragédie et désespoir de la vie de Kommaly dans ses jeunes années auraient pu la mener vers des résultats bien différents. Qu'est-ce qui ne lui a pas seulement permis d'être une survivante, mais de mener son chemin vers une vie meilleure pour elle et ses compatriotes ? Adversité, ténacité, fibre morale, vision, initiative, intelligence, talent, travail acharné et incessant... tout ceci et plus encore.

 

Pour le bel exemple de courage et de ténacité que vous montrez aux générations futures, à l'instar de toutes les femmes exceptionnelles et formidables qui se battent chaque jour pour leur survie, celle de leurs enfants, pour le respect de leurs droits et pour une société plus juste, Madame Kommaly, MERCI.

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C
Bel article ... sur ce magnifique exemple de Femme courageuse et généreuse !<br /> Et aussi bel exemple de vie dans laquelle il y a eu des choix difficiles à faire.
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