Les gens de la côte

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Bocana de Lagarto, Equateur, mai 2013

 

Bocana de Lagarto (0)La Bocana est un petit village de pécheurs sur la côte pacifique au nord-ouest de l'Equateur. Là, le temps semble s'être arrêté. Les maisons sur pilotis alignées face au front de mer toisent l'horizon, pendant que leurs habitants, assis sur le parvis, passent le temps en sirotant une bière ou un soda, bercés par le roulis des vagues qui viennent s'échouer au pied de la digue. La lente torpeur qui y règne est peut-être le fruit de l'héritage des ancêtres africains, “pas trop vite le matin, tout doucement le soir”. Car la Bocana est peuplée d'une population afro-équatorienne, intégrée depuis des générations, mais qui a conservé certaines coutumes et modes alimentaires africains.

 

Bocana de Lagarto (1)La population est jeune, il y a une école maternelle, une primaire et même un collège, pour les 2000 habitants que compte le village.

Dans cette petite commune de bout du monde, comme sur toute la côte, les familles sont nombreuses et la maternité est précoce. Il n'est pas rare de voir de toutes jeunes filles portant leur bébé dans les bras, qui pourrait être leur frère ou sœur. Ces jeunes filles en fleur, nullement informées sur la sexualité et ses risques, car c'est un sujet tabou dans les familles, tombent enceinte dès l'âge de 14 ans. Parfois, il n'y a pas de père. Les jeunes filles et leurs bébés restent donc à la charge de leurs parents ou grands-parents. Et leur ignorance les rend bien vulnérables, le sida faisant des ravages sur cette zone côtière.

 

Bocana-de-Lagarto--9-.JPGDe leur côté, les pécheurs travaillent au rythme des marées. A marée basse, les barques paraissent échouées sur cette longue langue de sable. Au coucher du soleil, les couleurs se ravivent, la mer monte à nouveau, Les pécheurs préparent les filets et rejoignent leurs embarcations. Ils partent toujours à deux par barque, et groupés. Ils ne resteront pas longtemps en mer, seulement une ou deux heures, le temps de remplir leurs filets de quelques kilos de crevettes et de gambas. Le poisson se pèche, lui, au petit matin.

Autrefois, ils allaient loin en mer, et péchaient toute la nuit. Aujourd'hui, ils reviennent avant la nuit profonde, car depuis qu'ils se sont équipés de moteurs, ils sont victimes des pirates. Quelques uns n'en sont jamais revenus.

 

Bocana de Lagarto (3)La Bocana s'est créé il y a seulement quelques générations. C'était autrefois une zone de mangroves, à l'embouchure du fleuve Rio Verde, riche éco-système, refuge de crustacées, source de pèche abondante et donc de revenus pour les locaux qui vivaient alentour.


Là, s'est implantée une hacienda d'élevage de bovins, “el Paraiso”. Elle employait quelques journaliers, qui s'installèrent avec leurs familles autour, et formèrent petit à petit un village. Car ils eurent beaucoup d'enfants...

Puis les enfants ont eu à leur tour des enfants, le village compte aujourd'hui environ 300 familles.

 

Bocana de Lagarto (4)Les familles vivaient plutôt bien de la pèche dans la mangrove, jusqu'à ce que l'hacienda soit vendue a une entreprise qui transforma la mangrove en immenses piscines à crevettes... privées. Cette entreprise aurait pu être pourvoyeuse d'emplois locaux, mais il n'en est rien. Elle emploie des personnels extérieurs, et travaille probablement pour l'export, vu la taille des piscines.

Les pécheurs de mangrove ont alors du, contraints et forcés, se transformer en pécheurs de mer. Mais surtout, la conséquence la plus dramatique est sur l'éco-système, qui a été complètement chamboulé. L'entreprise représente non seulement une concurrence considérée comme déloyale mais aussi une grosse perte pour les habitants. Les rendements de la pèche en mer sont plus faibles, pour des coûts et des risques plus importants.

 

Bocana de Lagarto (5)Les femmes participent également à la chaîne. Elles achètent les crevettes aux pécheurs, les décortiquent, les mettent en sachets, qu'elles vont vendre sur les marchés alentours. Elles achètent la livre à 0.50cts et la revendent à 1.25$ (soit 1 euro). Sur 30 livres de crevettes décortiquées, elles peuvent gagner ainsi quotidiennement environ entre 10 et 15€ nets, si elles vendent tout, ce qui correspond au salaire moyen d'un ouvrier en Equateur.

Cela peut paraître une bonne moyenne, mais les femmes ne travaillent pas au même rythme tous les jours. Parfois, la pèche ne donne rien, parfois, elles manquent de fonds pour acheter la matière première. Ces revenus ne sont donc pas stables.

 

Bocana de Lagarto (6)La simplicité et l'état de vétusté des maisons, voire d'insalubrité pour certaines, attestent que la pèche ne rapporte pas à tout le monde.

La femme de l'ancien instituteur a choisi, elle d'élever des poulets et des cochons ! Et le commerce marche bien ! Car les pécheurs aiment bien mettre de temps en temps autre chose que du poisson dans leur assiette... quand ils le peuvent.

Au bout d'une ruelle, la “pension del mar” témoigne d'un passé plus florissant, sans doute. Elle a du héberger quelques visiteurs, mais elle est habitée aujourd'hui par les propriétaires. Elle a même du recevoir des noceurs en nombre, car au rez-de-chaussée se tient une grande salle de bal aux murs peints de paysages de rêves (plages et cocotiers, rivières et cascades...).

 

Bocana de Lagarto (7)Le dimanche matin, on ne travaille pas, jour du seigneur oblige. La petite église du village du haut, “el paraiso” (le paradis), fait retentir ses clochettes dès 7 heures du matin. Quelques fidèles s'y retrouvent, et entonnent des chants complètement faux, accompagnés par une guitare désaccordée qui semble jouer un autre air ! Mais la foi et la joie sont là. Dans ce pays pourtant très catholique, il n'y a pas de curé pour cette commune isolée. Ce sont donc les laïques consacrés qui prennent en charge, comme ils peuvent, le culte. Tout le monde participe un peu, en gage de solidarité. Dans d'autres lieux, on entend les chants des évangélistes, qui ont prospéré ici aussi, mais de façon moins visible qu'au Guatemala.

 

Bocana de Lagarto (8)A la Bocana, les jours s'écoulent paisiblement. Le village vit au ralenti, quelque peu endormi par la chaleur moite. Mais quand vient la fin de la semaine, que les jeunes étudiants rentrent voir leurs parents, que les pécheurs font une pause, le village soudain s'anime ! Les amplis crachent leur musique latino, dans toutes les ruelles, jour et nuit. Les hommes se saoulent au bar, ou se regroupent devant un poste de télé pour suivre avec passion et force cris le match de foot.

Les jeunes se donnent rendez-vous avec leurs motos pour faire la cour au filles, tout en sirotant une bière.

Quant aux femmes, elles se saoulent pour certaines tout autant que les hommes, pendant que les autres continuent leurs tâches ménagères quotidiennes... inlassablement.

Publié dans Chroniques Amériques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
I
Coucou!<br /> On vient de faire un tour sur ton blog ;-)<br /> On pense a toi, grosses bises et a bientot tout en suivant toujours tes etapes de voyage.<br /> <br /> isa et david
Répondre