Ushagram, une vision, un projet

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Ushagram, West-Bengal, Inde, janvier 2012.

 

Ushagram--19-.JPGL'histoire d'Ushagram :

 

Tout a commencé il y a 30 ans, avec un homme visionnaire, Gopal Chandra Chakravarty, un disciple de Gandhi. Gopal « Dadu », comme le nomment affectueusement les habitants d'Ushagram, est né au Bengladesh, lequel en son temps appartenait encore à l'Inde. Il a suivi une formation universitaire en sciences politiques, s'est impliqué dans nombre d'activités socio-politiques et a rejoint en 1956 le département développement du gouvernement du West-Bengal, avec lequel il s'est très vite trouvé en désaccord.


 

Ushagram--23-.JPG1968 fut une année charnière pour M. Chakravarty, où il décida de quitter le confort de sa vie sociale et professionnelle pour venir en aide aux migrants de l'est du Bengale, après la partition de cette région entre l'Inde et le Pakistan (l'est du Bengale a été cédé au Pakistan, avant de gagner son indépendance et prendre le nom de Bengladesh). La partition a en effet entrainé des mouvements de populations importants : les musulmans qui se trouvaient dans ces villages de l'ouest du Bengale ont rejoint l'Est, côté Pakistanais, cédant leur place aux non musulmans, pour la grande majorité hindouistes, qui se sont alors installés du côté Indien.


 

Ushagram--21-.JPGInspiré par deux hommes à la pensée progressiste, Ramakrishna-Vivekananda et Sri Aurobindo, M. Chakravarty a utilisé toutes ses économies personnelles et un lopin de terre de 5 acres (4 hectares) impropre à la culture, pour créer un Ashram modèle pour l'éducation des enfants, mais aussi pour le développement socio-économique des villageois.


C'est ainsi qu'est né le projet « intégré » d'Ushagram, suivant le concept et la charte d'Auroville (cf. plus bas).

Le village d'Ushagram n'existait pas à l'origine, seules quelques maisons en torchis se trouvaient sur la zone.

 

 

Ushagram--18-.JPGAujourd'hui, Ushagram est un village bien réel, avec des centaines de familles qui ont accès à l'eau et à l'électricité. L'enjeu majeur pour M. Chakravarty a été de créer une cohésion sociale et une solidarité, qui n'existait pas parmi les habitants, tous nouveaux arrivants.

 

Les objectifs du projet :

 

Améliorer la vie des habitants des communautés rurales, de manière durable.

Pour cela, les secteurs clés d'intervention sont l'éducation, la santé, la sécurité alimentaire, la génération de revenus et le développement de technologies appropriées. Avec un accent porté sur le développement personnel des cibles les plus « vulnérables » : femmes, jeunes et enfants de familles défavorisées.

 

Ushagram--16-.JPGLa vision d'Aurobindo :

 

Créer un modèle de communauté avec un objectif triple : développement rural, vie communautaire, éducation civique. Cela demande une prise de conscience et une forte implication des habitants eux-mêmes dans la construction du projet et la mise en œuvre des activités.

Cela se traduit par une auto-gestion des projets et des infrastructures, et dans l'idéal, leur auto-financement. Les activités agricoles (bio) et économiques (coopératives) créées au sein de la communauté doivent permettre de financer les activités de santé, sociales et éducatives. Ce que l'on appelle un projet « intégré ».

 

Charte d'Auroville, en date du 28 février 1968, telle que présentée à Ushagram :

  1. Auroville n'appartient à personne en particulier, elle appartient à l'humanité toute entière. Mais pour vivre à Auroville, on doit être le « serviteur volontaire de la conscience divine ».

  2. Auroville sera le lieu d'une éducation sans fin, de progrès constant, et qui restera toujours jeune.

  3. Auroville veut être le pont entre le passé et le futur. Prenant le bénéfice de toutes les découvertes, qu'elles viennent de l'extérieur ou de l'intérieur, Auroville s'en servira pour semer ses futures réalisations.

  4. Auroville sera un lieu de recherches matérielles et spirituelles pour donner corps à une unité humaine, dans son époque.

 

Ushagram--15-.JPGLa construction du projet d'Ushagram :

 

Gopal Chakravarty a démarré le projet avec une école, fondée en 1974.

Mais pour aller plus loin, faire reconnaître le projet et surtout faire appel à des partenariats, il a fallu créer une ONG support.

Ainsi, Ushagram Trust a été créée en 1980, soit 10 ans après le début de l'histoire d'Ushagram.

 

L'activité d'Ushagram s'étend aujourd'hui à 14 villages, l'ensemble comptant environ 40 000 habitants.

 

 

 

Ushagram--14-.JPGLes secteurs d'activités :

  •   Education : une école qui réunit aujourd'hui 750 élèves du primaire au secondaire, et emploie 35 personnes (essentiellement des femmes); internat pour 20 enfants et adolescents issus des familles les plus pauvres (foyer construit avec l'aide de la fondation Abbé Pierre, et parrainée par l'ADVO France, sise à Blagnac); jardins d'enfants (1 par village); bibliothèque.
  •  Santé : promotion, prévention, soins curatifs. Accès à 3 types de médecine : allopathie, homéopathie, ayurvédique. La médecine allopathique reste la plus utilisée. Les actions de promotion et de prévention sont réalisées dans les villages par l'équipe de travailleurs sociaux (4 femmes et 2 hommes), auprès des mères de famille essentiellement, comme par exemple des cours de cuisine. Le moyen de les atteindre : les jardins d'enfants et les « Self Help Groups » (cf. plus bas).
  • Ushagram--13-.JPGFormation pour adultes : alphabétisation, informatique, apprentissage et professionnalisation dans les domaines du textile et de l'agroalimentaire (cf. centre de production).

  •  Micro-crédit : accompagnement des femmes des villages à la mise en place et au bon fonctionnement des Self Help Groups (littéralement groupes d'entraide autonomes) – épargne collective et allocation de micro-crédits pour aider à démarrer de petites affaires commerciales.

L'un des objectifs de l'ONG est de monter une institution de micro-finance pour suppléer les banques qui limitent leurs temps et leurs montants d'engagements sur ce type de projets,et ont souvent des taux d'intérêt très élevés.

 

 

Ushagram--11-.JPG

 

 

  

    •  Production : création d'un centre de production, support aux formations, en 1997. Nommé LSN (Loka Sikshaniketan).

Ce centre a pris son indépendance statutaire, mais reste chapeauté par Ushagram Trust. Il emploie 92 personnes à la production et 17 employés à la coordination et l'administration.

Les activités exercées : tissage de saris, peinture type « batik » sur tissus, couture, production de confitures, achards, miel, épices.

Production agricole biologique : Riz, moutarde, jute, céréales. Elevage de vaches.

 

 

 

Particularité du projet d'Ushagram, son modèle économique :

 

Ushagram (12)

L'intérêt de ce projet réside dans son modèle économique, qui en théorie doit permettre l'indépendance du projet et son autonomie financière. Mais en réalité, cela n'est pas si simple.

Les activités de production ne commencent à s'équilibrer qu'après 20 ans de fonctionnement. Elles sont encore loin de générer les fonds nécessaires au financement des autres activités.

Les activités ont donc encore toutes besoin de soutiens financiers externes.

Les partenaires internationaux principaux et « durables » sont 2 associations, l'une française, l'autre suisse. La première intervient sur l'éducation (parrainages) et la santé (programmes de sensibilisation). La seconde intervient d'avantage sur le centre de production (infrastructures, matériel, commercialisation des produits).

 

Ushagram--24-.JPGA première vue, il semble finalement difficile d'imaginer qu'Ushagram puisse parvenir à son autonomie financière totale avant de longues années... dans 30 ans, peut-être ? Elle doit jouer sur 2 fronts : à la fois continuer à améliorer ses performances économiques, et consolider, voire renforcer ses partenariats externes.

De plus, l'ONG a encore besoin de partenaires techniques, avec des interventions de professionnels, car elle n'a pas les moyens de recruter en interne. En effet, les salaires sont très bas, c'est aujourd'hui la condition du maintien des activités : un personnel plus engagé qu'intéressé. Mais jusqu'à quand cela pourra-t-il tenir ? Comment réagira la troisième génération, qui n'aura pas du tout connu le charismatique fondateur ?

 

La gouvernance : un relai difficile... une démocratie peu participative

 

Ushagram--10-.JPGLe fondateur était un personnage très charismatique, il était l'âme du projet. Celui-ci décédé, il est certain qu'Ushagram a perdu un grand homme, et qu'il ne sera pas remplaçable à l'identique. Il incarnait et portait le projet.

Se pose dans ce cas le problème de la continuité du projet, avec d'autres personnes, d'autres ambitions et modes de pensées, d'autres intérêts (personnels ou collectifs), et un autre type de management. « Le changement dans la continuité ». En fait, l'important est de faire perdurer l'esprit du projet.

A mon sens, l'équipe d'Ushagram a fait ici une petite erreur : elle n'a pas fait évoluer l'organigramme, c'est à dire que le fondateur a été remplacé par une seule personne, au même poste (secrétaire générale). Le côté positif est que c'est une femme, mais l'inconvénient est qu'elle n'a pas le même charisme, ni la même légitimité à porter à elle seule toutes les décisions. La présidence est un poste honorifique, voire seulement un rôle de figuration.

Ushagram--17-.JPGAprès le décès de M. Chakravarty, il aurait fallu refondre et réorganiser le conseil d'administration, en redonnant au président son rôle de représentant et de garant de l'ONG, en répartissant entre les administrateurs les rôles et les responsabilités, et en formalisant les délégations de pouvoirs aux cadres salariés.

Pour aller plus loin, on pourrait imaginer une refonte totale de l'organigramme, avec l'intégration de représentants des villageois dans le CA, y compris à des postes clés, pour une réelle implication des habitants dans le processus de décision. Cela pourrait d'accompagner d'animation de groupes de paroles réguliers des habitants, qui pourraient aider à définir les orientations des projets pour l'avenir. Nous serions alors en parfaite adéquation avec les objectifs initiaux du projet d'autogestion et d'autodétermination.

Publié dans Chroniques Inde

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Z
Je te suis avec admiration. tes photos sont superbes et ton périple particulièrement intéressant. Bien amicalement
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T
<br /> <br /> Merci pour ces encouragements qui me donnent le goût et l'envie de continuer à partager mes histoires, et de poursuivre mon périple. Oui, ce voyage est vraiment intéressant, je fais de belles<br /> rencontres, suis en admiration devant ces femmes qui portent tout. Et si c'était à refaire, je recommencerai !... Mais ce n'est pas fini, et je n'ai pas encore dit mon dernier mot !<br /> <br /> <br /> <br />
C
Beau projet !<br /> Belle histoire !<br /> La question du "porteur de projet" est ici fort importante ... Il faudrait toujours pouvoir prévoir le "remplacement" bien avant le départ.
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