Un dimanche à Chamula

Publié le par terre-de-femmes.over-blog.com

Chiapas Chamulan (5)Chiapas, Mexique, le 25 novembre 2012

 

Il y a des lieux qui marquent et que l'on oublie pas. Chamula est de ceux-là.

Il règne une ambiance très particulière dans ce village, devenu une curiosité touristique, en un sens malheureusement. Mais heureusement, il n'a rien perdu de son authenticité, et le touriste a intérêt à respecter ses règles, sous peine de se voir rien moins qu'expulsé manu militari du territoire, son appareil photos confisqué en prime, s'il a eu le malheur de prendre des photos indiscrètes sans autorisation !

 

Chamula est un village indigène, situé sur les hauts plateaux du Chiapas, Los Altos, région de collines et de forêts. Les Chamulas forment le groupe indigène maya le plus important en nombre de cette région du Chiapas. Ils sont environ 75 000, sur le million d'indigènes chiapanèques, et parlent le tsotsil, l'une des 62 langues indigènes officiellement reconnues au Mexique.

 

Les habitants de Chamula sont fiers de leurs ascendances mayas, de leur appartenance à leur communauté, et le montrent notamment à travers le port des costumes traditionnels et la perpétuation des coutumes et croyances religieuses ancestrales.

 

Chiapas Chamulan (1)Les hommes sont vêtus d'un pantalon blanc et d'un chuck, tunique de laine bouillie et peluchée, noire ou blanche, selon le rang et la fonction. Les caciques portent en plus un chapeau, les « blancs » portent un chapeau de cow-boy blanc à large bord, les « noirs » un chapeau orné de banderoles colorées, et un bâton, symbole de l'autorité. Ces tuniques représentent un véritable investissement financier, elles coûtent pas moins de 3500 pesos (230€), ce qui représente plus d'un mois de salaire d'un ouvrier moyen. La confection d'une tunique prend 3 à 4 semaines, du traitement de la laine au montage, en passant par le tissage.

Les femmes et les fillettes portent une jupe de laine bouillie noire et peluchée, maintenue par une large ceinture tissée et brodée, et un chemisier de satin rose ou violet à l'encolure et aux épaules brodées de fleurs. Par dessus, elles passent un châle en coton épais, dans mêmes les tons violets et roses, brodé de grosses fleurs. Pour se protéger du soleil, elles posent sur le dessus de la tête un tissu épais, plié, qui retombe le long de la nuque. La majorité d'entre elles sont coiffées de 2 nattes qu'elles attachent dans le dos.

 

Chiapas Chamula (8)Au-delà de son « folklore », Chamula est connu pour être un lieu d'activisme politique important. Il fait partie des municipalités qui ont répondu au mouvement d'organisation autonome des communautés indigènes, lancé dans les années 80. La municipalité et les communes sont dirigées par des caciques, qui ont pouvoir d'ériger leurs propres lois. Ni police, ni armée extérieures ne sont admises dans la municipalité, Chamula détient ses propres forces de police.

Son organisation politico-religieuse est très rigide, et détenir une responsabilité comme celle de gouverneur, maire, policier ou notaire est considérée comme un grand honneur, concédé sur mérite personnel. En revanche, les guérisseurs, qui jouent un rôle très important auprès de la population, ne sont pas élus. Ils acquièrent leur sagesse dès l'enfance et leur pouvoir provient de San Juan, le Saint Patron de la communauté.

 

 


 

Chamula--2---Medium-.JPGAu plan religieux, la population de Chamula se définit comme catholique traditionaliste. Ainsi, dans les années 90, toutes les familles qui n'appartenaient pas à ce courant religieux dominant, qui par exemple appartenaient à l'église évangélique, se sont trouvées expulsées de la communauté et ont du se réfugier dans les faubourg de la ville de San Cristobal.

Pourtant, on ne peut pas dire que les rites religieux ressemblent en quoi que ce soit aux messes catholiques, si traditionnelles soient-elles ! En effet, ils seraient plutôt de l'ordre du syncrétisme religieux, un mélange de dévotion aux saints et à la vierge, et de rites animistes sacrificiels.

Et pour dire que la religion tient une place importante, chaque quartier détient son panthéon, présidé par de grandes croix vertes, peintes de motifs floraux blancs, qui représentent Chul Metic (la déesse mère) et Chul Totic (le dieu père). Les croix se présentent souvent au nombre de 3, probablement en référence à la crucifixion de Jésus. Elles sont recouvertes de branches de pin.

 

Chamula--Chiapas--1-.JPGLa grand-place du village est le lieu où se tiennent les évènements les plus importants, comme le marché, les élections, les réunions politiques et les cérémonies religieuses.

 

Le dimanche à Chamula est jour de marché. Les habitants de tous les villages environnants descendent alors en famille de leurs montagnes, pour s'y rencontrer et y commercer.

Le marché regorge d'étoffes colorées, jupes et châles brodés, de grosses bobines de fils à coudre de toutes les couleurs, de légumes et de fruits odorants (en décembre, c'est la saison des mandarines), et de toutes sortes d'équipements et de gadgets domestiques... made in China.


Les femmes s'affairent aux achats, accompagnées de leurs enfants, pendant que les hommes s'installent à une buvette pour discourir autour d'un verre, ou se regroupent pour festoyer et chanter au rythme d'une guitare.

 

Chiapas Chamula (6)A la fin de la matinée, un groupe de caciques traverse la place. Il ne passe pas inaperçu. Il fait faire place nette sur son passage, les hommes avançant d'un bon pas, la tête haute, en rangs.

D'abord les hommes en blanc, puis suivent les hommes en noir. Ils se donnent un air très important.

Une fois le groupe passé, la vie reprend son cours sur le marché.

 

 

 

 

 

 

 

Chiapas Chamulan (2)Ce jour-là, les familles se rendent à l'église (appelée ici temple). Celle-ci se trouve au fond de la place, et précédée d'un gigantesque atrium au centre duquel domine une grande croix.

 

La façade est simple, couronnée d'un clocher-mur à 3 cloches, que des sonneurs font tintinnabuler avec ferveur à l'heure de midi. A voir la façade, on ne peut se douter de ce que l'on va trouver à l'intérieur.

La grande porte en bois est encadrée par des arches peints en vert et bleu. Elle ne s'ouvre entièrement que lors de la fête de Saint Jean.

 

L'entrée du temple est gardée par des vigiles, les mayoles, qui portent le chuck et le bâton.

 

Une fois passé le point de contrôle, l'on pénètre dans le lieu sacré. Sur le sol tapis d'aiguilles de pin, au milieu et de chaque côté de l'enceinte, sont disposées des rangées de cierges incandescents, bien alignés, autour desquels familles et guérisseurs ou sorciers, à genoux, invoquent les saints et les dieux, sur le rythme saccadé de leurs incantations, à l'aide de sodas, de posh (l'eau de vie locale, faite à partir de sucre de canne) déversé au pied des cierges, d'œufs de poules, et de poules vivantes qui seront plus tard sacrifiées. Le tout dans les fumées de myrrhe et de copal.

 

Chiapas Chamulan (4)La famille restera en prière jusqu'à ce que les cierges se consument entièrement. Elle laisse alors la place à une autre famille, qui commencera son rituel par la mise en place des cierges, réalisée par le guérisseur. Celui-ci, après en avoir choisi la couleur et la taille, dispose les cierges en ligne, de manière très ordonnée. Tout geste et tout acte, ici, a une signification.

 

Une femme guérisseuse prend le pouls d'une autre femme. Ainsi peut-elle déterminer le mal dont souffre la malheureuse. Parfois, le sujet de la cérémonie est un enfant atteint du « mauvais œil », qu'il faut désenvouter. Commence alors les litanies, en même temps que la disposition des cierges.

Rompant les douces mélodies et l'atmosphère de prière intense qui règne dans l'enceinte de l'église, une famille d'une douzaine de personnes arrive en procession, précédée de musiciens, violoniste, accordéoniste et tambourineur. L'ensemble avance au rythme lancinant des instruments, et vient se planter devant l'effigie d'un saint, toute décorée de tissus et de fleurs. Cette entrée fracassante ne semble pourtant déranger personne. Les familles poursuivent leurs litanies comme si de rien n'était.

 

Chamula--16---Large-.JPGIl règne dans cette église transformée en temple animiste, exemple type du syncrétisme religieux chiapanèque, une atmosphère hors du commun, mystérieuse. Les milliers de bougies enflammées disposées à terre et envahissant l'autel principal au fond de l'église, la chaleur dégagée par les cierges incandescents, la ferveur des prières des dizaines de fidèles agenouillés, les fumées et les parfums d'encens, les statues de saints et de vierges enfermées dans leurs tabernacles, habillées de vêtements traditionnels et fleuries à outrance, les grands rideaux de couleurs vives pendus au plafond, nous transportent dans un autre univers, à la fois magique, poétique et mystique.

Si l'on se laisse absorber par cette magie, que l'on prend le temps de respirer au même rythme que les respirations des fidèles, que l'on se laisse bercer par les chants des curanderos, l'on en ressort sincèrement bouleversé.

« Tout ce mysticisme empli de mystère et de singularité impressionne. Il possède une forte charge de foi et d'espérance. Il s'agit d'un univers différent, l'essence du monde indigène qui a survécu. »

 

« Cohabiter avec cette culture millénaire est un privilège qui fait profondément réfléchir sur l'utilité de respecter la diversité des groupes humains qui peuplent le monde, conservant leurs identités, imperméables au « progrès ». L'on peut alors se demander : lesquels auront raison ? Lesquels sont les plus épanouis et heureux ? Lesquels survivront ? » Une réflexion essentielle à l'aube du nouveau calendrier maya, qui introduit un nouveau cycle de 52 années...*

 

* (conclusions d'un article de Georgina Luna Parra sur Chamula, paru dans la revue Jovel)

Publié dans Chroniques Amériques

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Z
Je te souhaite d'excellentes fêtes au milieu d ce peuple qui a su résister à tant d'avanies
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Z
Je te souhaite d'excellentes fêtes au sein de ce peuple qui a su résister à tant d'avanies.
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